Le déploiement de la 5G, plus qu’un débat
Les enchères pour l’attribution des bandes de fréquence 5G aux opérateurs Français se sont terminées la semaine dernière (le 1er octobre 2020). La convention citoyenne pour le climat avait proposé en juin 2019 un moratoire de ce processus dans l’une de ces 150 propositions. Cette demande a été reprise courant septembre par une cinquantaine d’élus. Le Président de la République l’a écartée, relayant au passage le sujet à une bataille entre partisans d’une France innovante et progressiste d’un côté et « amishs » adeptes de la « lampe à huile » de l’autre.
Le débat sur la 5G en France mérite bien mieux que cela. Il est encore temps de tenter de l’élever.
Que penser de l’arrivée de la 5G en France?
Le contexte de ce débat est un cocktail explosif mélangeant des enjeux politiques, sanitaires, technologiques, économiques et écologiques.
Nous nous affranchissons ici des deux premiers pour nous concentrer sur les trois derniers. Il n’est pas dans notre rôle de rentrer dans le jeu politique. Et nous ne sommes pas suffisamment qualifiés pour évaluer l’enjeu sanitaire. Nous nous contenterons juste de préciser qu’à ce jour et malgré certaines suspicions, l’impact néfaste des technologies mobiles et sans fil sur la santé n’a jamais été démontré de façon irréfutable. Au stade actuel, la 5G est un protocole supplémentaire reposant sur des ondes radios sur une bande de fréquences déjà utilisée (par exemple par le Wifi). Elle ne constitue pas scientifiquement un risque plus élevé que celui déjà existant.
Les expérimentations à venir de la 5G sur les bandes de plus hautes fréquences (26 GHz) sont celles qui posent plus de questions du point de vue sanitaire. C’est l’utilisation de cette bande de fréquence, et non le standard 5G en lui-même, qui est en cause.
Qu’est ce que la 5G ?
La 5G est la cinquième génération de standards pour la téléphonie mobile. Elle constitue une avancée technologique par rapport à la 4G et apporte un certain nombre de gains significatifs :
- Le premier est le débit. La 5G utilise la bande de fréquence 3.5GHz (les fréquences comprises entre 3.4 et 3.8GHz qui ont fait l’objet des fameuses enchères d’attribution). Il s’agit d’une des différences entre 4G et 5G. Pour rappel, les protocoles 2G (edge), 3G et 4G utilisent les bandes 900 MHz, 1,8 GHz et 2,6 GHz. Or plus une fréquence est élevée, plus elle a la capacité de passer un débit élevé. Cela explique le gain en débit qu’apporte le standard 5G par rapport à la 4G.
Les expérimentations de la 5G sur la bande 26 GHz (dites bandes millimétriques) vont démarrer début 2021 pour une durée de 2 ans. - Les temps de latence. Le standard 5G présente un délai de réponse plus faible et promet ainsi des connexions plus rapides et plus fiables.
- La consommation d’énergie. Autre différence entre 4G et 5G, à débit égal, la 5G est moins consommatrice que la 4G grâce aux spécificités des cellules radio d’émission/réception propres à chacun de ces standards. De plus, le protocole 5G introduit une notion de mise en veille des cellules radio lorsqu’elles ne sont pas sollicitées. Cela constitue un gain supplémentaire de consommation d’énergie.
- La réduction de l’exposition aux ondes. les faisceaux radio 5G sont orientables et peuvent être émis directement vers le mobile en communication. Les faisceaux 3G/4G sont omni-directionnels et ne présentent pas cet avantage.
Quels sont les impacts de la 5G?
Ces avancées font dire à l’Acerp (l’autorité administrative indépendante en charge de réguler en France le secteur des télécommunications) que «à son lancement, la 5G va améliorer l’accès aux services proposés par les réseaux 4G en permettant notamment un meilleur débit et plus de capacité. Une quantité beaucoup plus importante de données pourra être échangée sans engorgement des réseaux». Le nouveau réseau permettra de multiplier le débit par 10 et de diviser d’autant le temps d’attente. Pour le dire simplement, il transportera plus de données, plus rapidement.
Les avantages de la 5G laissent entrevoir des promesses de progrès et des nouveaux usages tels que la télé-chirurgie de précision, la robotisation des procédés industriels ou encore le développement des véhicules autonomes et connectés.
Les opérateurs promettent une consommation d’électricité de la 5G inférieure à celle de la 4G : « Pour acheminer 1 giga de data, la 5G utilisera 2 fois moins d’énergie que la 4G à son lancement, et 10 fois moins d’énergie à horizon 2025 », assure par exemple Orange.
Enfin, selon la feuille de route officielle du Gouvernement Français, les bénéfices attendus de la 5G sont : le téléchargement plus rapide de vidéos haute définition, « la démocratisation du streaming de vidéos 3D à 360° » et « le développement d’applications de réalité virtuelle et augmentée »
Quels sont les dangers de la 5G?
Tous ces bénéfices espérés et attendus se heurtent à une contrepartie redoutée du déploiement de la 5G: son impact sur l’environnement et sur le climat en raison du niveau d’émissions de gaz à effet de serre (GES) qu’il engendrera en fonction de la façon dont il s’opérera.
Les impacts du déploiement de la 5G sur les émission de GES sont multiples.
L’effet rebond
Le premier d’entre eux est l’effet rebond. Les débits décuplés de la 5G risquent de conduire à une augmentation du volume de données consommées sur les réseaux (en particulier la vidéo HD en streaming). Or plus le volume de données est important, plus il faut d’énergie (en l’occurrence, d’électricité) pour le transporter. Là encore, les lois de la physique sont incontournables. En France, la production d’électricité provient du nucléaire (très majoritairement), de l’hydraulique et de l’éolien. Elle est peu émettrice en GES. L’impact carbone dû à une augmentation du trafic est donc réduit. Il n’en reste pas moins réel. Et ce n’est pas le cas dans le reste du monde où la production d’électricité est beaucoup plus émettrice (centrales à charbon).
L’Arcep confirme dans son rapport sur l’empreinte carbone du numérique que « l’amélioration de l’efficacité énergétique ne suffira pas, à long terme, à contrebalancer l’augmentation du trafic » . Elle ajoute que la 5G qui aurait permis « une réduction des émission de GES à usage constant est susceptible de produire en fait un accroissement global des émissions en raison de la multiplication des usages qu’elle permet.»
Quelques chiffres sur l’évolution de l’impact carbone du numérique pour s’en convaincre:
- En 2018, le numérique représentait 4% des émissions de GES issues des activités humaines. A titre de comparaison, cela représente le double des émissions du transport aérien et la moitié des émissions automobiles.
- Il représente aujourd’hui 10% de l’électricité mondiale (dont 4% uniquement pour les serveurs).
- L’empreinte carbone du numérique augmente de 10% par an.
- 80% des données qui transitent sont de la vidéo.
Il est à craindre que le déploiement de la 5G partout, pour tous, contribuera à cette expansion continue de notre consommation de données et en particulier de vidéos HD (objectif qui figure explicitement dans la feuille de route du gouvernement), dont la conséquence in fine est l’augmentation des émissions de GES dans des proportions restant à estimer.
Infrastructures et antennes 5G
Le deuxième impact concerne les infrastructures réseaux et les antennes 5G. Une fois encore, faisons appel aux lois de la physique: plus une fréquence est élevée, moins elle porte loin à puissance d’émission égale. Or, les antennes 5G émettent sur une bande de fréquence supérieure (3.5 GHz et 26 GHz) aux antennes 4G. Autrement dit, à puissance égale, elles émettent moins loin. Il faudra donc plus de cellules radio 5G pour couvrir un même périmètre, donc plus de dépenses d’énergie, plus d’équipements réseaux (dont la fabrication est très émettrice en GES), plus de matériaux et au final, plus d’émission carbone liée.
Selon Hugues Ferreboeuf, directeur du projet “sobriété numérique” au Shift Project, “ajouter des équipements 5G aux sites existants (2G,3G,4G) fera doubler la consommation du site”. Et avec le 5G, “il faudra 3 fois plus de sites qu’avec la 4G pour assurer la même couverture”.
Le renouvellement des smartphones et des terminaux
Le troisième impact redouté du déploiement de la 5G est la la nécessité de renouveler les millions (en France) et les milliards (dans le monde) de téléphones et terminaux avec des smartphones compatibles avec la 5G.
Rappelons qu’en moyenne, 85% des émissions CO2 d’un produit numérique durant tout son cycle de vie sont dues à sa seule fabrication (de l’extraction des ressources naturelles, matériaux et métaux rares, à leurs transports, jusqu’à leur assemblage sur les chaînes de production). Seuls 15% de ces émissions sont dues à son usage et à sa consommation énergétique. Renouveler la quasi totalité des terminaux mobiles et autres objets connectés afin de les remplacer par des terminaux et smartphones compatibles ressemblerait un contre-sens à l’heure où la neutralité carbone est inscrite dans nos engagements dans le cadre de la COP21.
Un rapide exposé de ces trois facteurs (et ce ne sont pas les seuls) fait comprendre le lien direct entre la stratégie de déploiement de la 5G et son impact environnemental. Un déploiement partout et pour tous pourrait conduire à une augmentation exponentielle des émissions de GES. Alors qu’un déploiement raisonné et ciblé, en fonction des usages et des finalités pourrait réduire cet impact.
A ce jour, aucun rapport officiel n’existe sur l’impact environnemental du déploiement de la 5G en France. L’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), en collaboration avec l’Arcep, publiera en 2021 une étude sur les impacts environnementaux des technologies numériques.
Parmi les partisans d’un moratoire sur le déploiement de la 5G, certains préconisent l’attente de ce rapport avant de décider d’un déploiement.
Les opposants à ce moratoire font valoir le risque de retard technologique et/ou économique de la France sur ses voisins (et concurrents?) et un refus du progrès et des innovations d’usage que peut apporter la technologie.
Et maintenant ? Que fait-on?
En France, les enchères d’attribution sur la bande fréquence 3,5 GHz ont eu lieu et ont rapporté à 2,8 Milliards d’euros à l’Etat. Les 4 opérateurs (Bouygues Télécom, Free Mobile, Orange France et SFR) sont tous qualifiés et se répartissent les blocs de fréquences.
Le déploiement de la 5G sur cette nouvelle bande de fréquence n’a en revanche pas démarré. Les opérateurs vont dans un premier temps opérer la 5G sur les bandes de fréquence de la 4G, sans impact majeur sur les infrastructures pour l’instant.
Il est encore temps d’avoir un débat ouvert et raisonnée. De sortir la 5G du débat idéologique dans lequel elle est tombée. De redéfinir collectivement nos urgences (climatique? économique? technologique? les trois?) et notre vision du progrès (ce qui est nouveau? ou ce qui est utile ?). De faire de la 5G un moyen pour atteindre cette vision et non une fin en soi.
A moins d’être climato-sceptiques, ce qui n’est pas notre cas, il nous semble inconscient d’écarter l’enjeu environnemental du débat . L’urgence climatique fait déjà partie de notre présent. Nous ne sommes pas non plus des Amishs ni des adeptes de la lampe à huile (même si nous avons pour eux le plus grand respect).
Nous appelons à la constitution d’un groupe de travail réunissant l’ensemble des parties prenantes (opérateurs, équipementiers, professionnels des télécoms et du numérique, régulateurs, industriels, experts climat, collectivités territoriales …).
Ce groupe de travail aurait la mission de répondre à ces nombreux enjeux: la pertinence de déployer sur l’entièreté du territoire, la mutualisation des équipements pour l’ensemble des opérateurs, le déploiement ciblé en fonction des réels besoins, le recours aux technologies existantes (WiMax, WiMesh, LPWAN, NB IOT, LTE M,…) pour répondre aux besoins de haut débit locaux sans créer de nouvelles infrastructures, la régulation des usages, la sensibilisation des usagers, la rétrocompatibilité des nouveaux équipements avec les divers standards, et inversement …
Nous sommes favorables à la tenue d’un débat global et apaisé, afin de converger vers un développement et un déploiement raisonné et responsable de la 5G en France. Nous apporterons notre contribution à ce débat et partagerons dans ce blog le fruit de nos études et de nos réflexions.