Podcast Feuille de route – De l’innovation managériale à l’engagement environnemental

Dans son podcast Feuille de route, Romain Roy interview Franck, fondateur d’æpsilon. De ses origines à son engagement environnemental en passant par ses études, Franck partage ses prises de conscience personnelles qui vont se retrouver dans les transformations d’æpsilon : managériale, sociale, environnementale. Il partage également son expérience avec la Fresque du Climat, l’atelier 2tonnes et la Convention des Entreprises pour le Climat, des outils pour sensibiliser et agir.

Le podcast Feuille de route est à écouter par ici, inspiration et motivation pour tou·tes celles et ceux qui souhaitent faire la différence !

Transcription du podcast Feuille de route (à partir de 00:32 secondes)

Romain Roy – Bienvenue dans Feuille de route, le podcast qui va vous donner des idées pour faire face aux enjeux climatiques dans votre vie personnelle et dans votre vie professionnelle. Je suis Romain Roy, fondateur et dirigeant de Greenweez.com, le site de la consommation responsable et j’espère qu’au travers de mes entretiens avec les différents invités sur la source et l’expression de leur engagement, nous donnerons envie au plus grand nombre de passer à l’action pour cette belle cause qu’est la lutte contre la crise environnementale.

Bonjour Franck.

Franck Vu Hong – Salut Romain.

RR – Eh bien écoute Franck, ça me fait très plaisir de t’avoir aujourd’hui avec moi, je vais tout de suite briser la glace et révéler un secret qui n’en est pas un mais nous nous connaissons depuis très longtemps, très, très longtemps, puisque nous avons fait nos études ensembles. Et je suis content de t’avoir parce que finalement ton parcours, je trouve, en tout cas la partie que je connais, ne laissait pas présager que tu allais devenir ce que tu es devenu, notamment en terme d’engagements. Et donc avant que tu te présentes, peut-être cette question introductive. Est-ce que toi tu t’attendais à devenir ce que t’es devenu aujourd’hui ?

FVH – Ah ouais super bonne question, j’avais jamais vu sous cet angle là. Déjà merci, je suis effectivement ravi de pouvoir participer, j’ai répondu immédiatement oui à ton invitation, en plus c’est une bonne occasion de se revoir parce qu’elles sont pas si…

RR – Malheureusement.

FVH – Oui c’est assez rare. Alors non vraiment, je n’aurai jamais imaginé, en tout cas si on remonte à l’époque où l’on s’est rencontré, c’est-à-dire nos études, j’aurais jamais pu imaginer que la vie m’amènerait là où je suis et mettrait ces engagements là sur mon chemin et qu’à un moment je prendrais cette voie là. Ça je pense que c’était très, très loin et ça m’étonne pas que tu dises que peut-être ça s’anticipait pas à l’époque parce que c’était loin de mes préoccupations.

RR – Je te pose la question parce que c’est moi-même une question que je me pose parfois, de me demander rétrospectivement est-ce qu’à l’époque on était totalement insouciants et inconscients de ce qui était en train de se dérouler ou des prémisses de ce qui était en train d’arriver ou est-ce que juste, on était pas assez informés… bref peu importe, l’essentiel c’est ce que tu es devenu. Avant de voir exactement ce que tu es devenu, est-ce que je peux te laisser de présenter ?

FVH – Donc Franck Vu Hong, j’ai 50 ans tout rond, trois grandes filles qui ont 21, 19 et 16. J’habite dans les Alpes Maritimes et je dirige une boîte que j’ai monté là-bas il y a 15 ans qui s’appelle æpsilon et après je sais pas par où tu veux que je prenne…

RR – Je veux que tu me racontes… d’ailleurs je te le dis tout de suite, c’est drôle, parce que comme certains autres invités, je te demande de te présenter et tu me parles en premier de tes enfants et de ton métier. Non en fait moi ce qui m’intéresse c’est de comprendre. Je veux tout savoir, où t’es né, dans quel milieu t’es né, comment t’as grandi, qu’est-ce que t’as fait, je veux essayer de tout comprendre.

FVH – D’accord, alors moi je suis né à Massy, juste à côté de la gare Massy-Palaiseau

RR – Banlieue parisienne, je précise.

FVH – Oui je suis un enfant de la banlieue parisienne, de la banlieue sud. Issu d’une famille de trois enfants, je suis le dernier, des parents issus de l’immigration vietnamienne, de la guerre d’Indochine, je pense que ça a son importance puisque eux sont arrivés dépossédés de tout et on reconstruit tout par la force du travail et en particulier d’une certaine vision du travail qu’il y a dans cette communauté là. Je suis dans une famille où tu fais ingénieur ou médecin ou dentiste.

RR – C’était ça le métier de tes parents ?

FVH – J’ai un père ingénieur et une mère qui a arrêté ses études de pharma parce qu’elle est tombée enceinte. C’est un schéma familial hyper classique, c’est-à-dire un père qui a bossé toute sa vie pour la même boîte, pour Schlumberger dans un grand groupe industriel, une mère au foyer, trois enfants. Et nous, il fallait que l’on se tienne bien, que l’on soit bons à l’école, pour pouvoir faire ingénieur ou médecin.

RR – Attend ça veut dire quoi ? Ça veut dire que tes parents sont arrivés enfants eux ici ?

FVH – Oui, ils sont arrivés enfants. Mon père est arrivé, il avait onze ans, ma mère pareil, puis elle est retournée au Vietnam, mais c’est des vrais déracinés et je pense que ça joue beaucoup sur l’éducation que j’ai reçu et ça joue beaucoup sur la façon dont j’ai voulu m’extraire de l’éducation que j’ai reçu, puisque tu ouvres cette porte là. L’immigration Viet de cette époque, c’est tu t’intègres, tu fais pas de bruit, tu respectes le pays qui t’a accueilli, tu respectes toutes les règles de ce pays, tu questionnes rien, tu fais et tu essayes surtout par ton travail d’être à la hauteur, donc moi j’ai fait ça. Et je pense que j’ai eu une enfance franchement cool, parce que mon père a tout de suite été ingé, il a bien gagné sa vie, tu vois, donc…

RR – Milieu plutôt aisé.

FVH – Oui, classe moyenne, on allait en vacances, on allait au ski, on allait au camping et plus la vie avançait, plus on avait des moyens. Donc j’ai manqué de rien et je pense que tout ça contribue à ce qui me fait aujourd’hui, parce que je me suis pas posé beaucoup de questions. Je manquais de pas grand-chose, j’étais bon en science donc j’ai fait des études de sciences, j’aimais pas la vue du sang donc j’ai dit non je ferais pas médecine, du coup tu feras ingénieur. J’étais dans mon lycée de banlieue, puis après j’ai postulé pour des lycées à Paris pour la prépa, puis après j’ai passé des concours, puis on s’est retrouvé dans la même école, et c’est même pas une école que j’ai choisi, c’est une école que j’ai eu. Enfin je veux dire, je sais pas si c’est comme toi… J’aurais eu mieux, je serais allé à mieux, j’aurais eu moins bien, je serais allé à moins bien, j’ai pas l’impression d’avoir choisi.

RR – Mais donc ça veut dire quoi à la maison ? Si j’essaye de comprendre ce que tu dis. C’est pas forcément une ambiance de, j’allais dire, de révolte et de rébellion, c’est plutôt une ambiance on travaille, on fait pas de vague.

FVH – On fait pas de vague, on travaille, on a une enfance heureuse mais pas du tout dans la contestation, c’est le contraire de ça. Je suis pas sorti des clous jeune, et je pense que c’est un truc aussi qui joue dans mon parcours. Je fais ces études là, j’ai une enfance vraiment heureuse, j’ai des potes, c’est une vie un peu sans aspérité, sans difficulté, mais sans non plus de grand rêve, tu vois, il y a un truc qui est sur des rails vraiment. Et je pense que c’est, par rapport à ta première question….

RR – Mais c’est un truc de recherche de sécurité quelque part aussi, pour des gens qui ont été déracinés.

FVH – Absolument, eux c’est reconstruire un truc stable pour que leurs enfants puissent y évoluer. Et ça je pense qu’ils l’ont vraiment super bien fait. Mais moi je suis certain, et pour reprendre ta première question, quand on s’est connu, rien ne présageait de ce que j’allais devenir, je me posais zéro question. J’avais, je pense, un regard sur le monde qui était très peu alimenté. Et je pense que c’est à partir du moment où j’ai commencé à bosser que j’ai commencé à ouvrir les yeux sur la société dans laquelle on était et petit à petit à avoir vraiment des prises de conscience, j’allais dire une forme de libre arbitre autant qu’on peut en avoir. Construire mon propre trajet à ce moment là, parce que même le premier job il m’est tombé dessus.

RR – Donc tu fais quoi justement ? Tu finis l’école et derrière c’est quoi…

FVH – Derrière, il y a le forum à l’école où tu vas poser tes CV dans les différents stands et à l’époque Thomson, Thalès viennent me chercher. J’ai même pas à chercher du boulot, ils me contactent, ils me proposent une coopé à la place du service militaire qu’il y avait encore à l’époque, c’était la fin, en Grande-Bretagne, ce qui m’allait très bien, puisque ça me permettait de pas être loin de ma chérie, parce que je voulais pas partir loin. Je signe là-bas, je fais une année et demi en Angleterre dans laquelle je me régale pour le coup mais sur les aspects… extra-professionnels…

(Rires)

RR – Festif ?

FVH – Ouais sur les aspects festifs, c’est là que vraiment ma vie commence je pense. Et puis je reviens et je bosse à Paris dans un univers… j’ai bossé jusqu’en 2001, j’ai du bosser 3, 4 ans chez Thalès, puis après c’était le moment de la…

RR – Thalès ils faisaient quoi pour ceux qui ont pas connus ?

FVH – Je faisais du traitement d’images, de la reconnaissance d’images satellitaires, c’est dans le domaine militaire, c’est sur des systèmes embarqués sous les avions pour reconnaître les sites. Et puis on est venu me chercher, 2000, c’est au moment où l’économie de la première bulle Internet fonctionne à flot, et on vient me chercher avec pas mal d’argent pour aller bosser sur ces sujets là, pour à l’époque France Telecom, devenu Orange depuis. Pour faire les premières plateformes e-commerce d’Orange. Donc je vais là-dedans, mais c’est à ce moment là en fait, dans tout ce truc du boulot, que me vient ma première prise de conscience qui était avant tout sociale. Je prends conscience en fait que je suis sur des rails depuis des années, et que là ces rails continuent, t’as un job, au début tu fais du développement, puis après t’es chef de projet, enfin t’as une espèce de voie toute tracée comme ça et qui est hyper codifiée, avec finalement très peu de libre arbitre, et avec des codes sociaux que je trouve complètement… ma première révolte, elle est sur le monde du travail et la façon dont les interactions sociales se font dans le travail. L’infantilisation qu’il peut y avoir, le management, les jeux de pouvoir, les jeux de compétition interne, le truc qui fausse tous les rapports en fait, à partir du moment où tu pousses la porte du bureau le matin. Et alors ça, ça m’a rendu dingue. J’en reviens à mon père, il prend sa retraite à peu près à ce moment là, après genre un truc comme 25 ans de bons et loyaux services et il finit comme toute personne qui a fait ça, dans un placard, sur les 3, 4 dernières années, à vraiment gérer… mais c’est pas une blague en plus, à devenir ingénieur qualité, à gérer les certifications ISO, enfin quand tu connais un peu le monde de l’entreprise, tu sais que c’est le placard. Et je le vois en souffrir, du manque de reconnaissance après avoir donné toute sa vie à une boîte, et je pense que ces deux choses là me font un peu tilt et je me dis mais ça c’est pas un truc…

RR – Et là on est en quelle année ? T’es chez Orange ?

FVH – Alors Orange je suis rentrée en 2001 et je suis resté jusqu’en 2004. Je suis entré par l’intermédiaire d’une boîte de service, j’étais en consultant là-bas, jusqu’en 2004, 2005… Je venais d’avoir trente et un an, et c’est le moment où je commence à me dire non ce truc là me convient pas. En plus on habite à Paris et on vient d’avoir notre deuxième fille, l’appart est petit, le week-end pour faire la balade c’est dans le square d’en bas, enfin bref on a envie de se tirer de Paris pour prendre un peu l’air. Et je cherche des opportunités, et par ma boîte d’époque j’ai la possibilité d’aller faire une mission d’une semaine dans le sud-est, là où je suis désormais, à Sophia Antipolis, pour un client qui s’appelle Amadeus, qui vend des billets d’avion. C’était une étude sur une refonte d’une plateforme informatique pour eux, d’une semaine, et en fait j’adore, je passe une semaine de rêve à l’hôtel là-bas, j’appelle ma femme et je lui dis je crois que la destination qu’on cherche peut-être je l’ai trouvé.

Et du coup je travaille ma boîte pour monter une agence, parce qu’on avait pas d’agence là-bas, moi j’étais détaché, j’étais allé faire une mission, mais je leur dis il y a plein de boulots et j’arrive à faire en sorte qu’il me file le mandat de monter une agence. Je le fais et je me régale pendant là… jusqu’à 2009, de 2006 à 2009, je me régale à monter l’agence où j’ai carte blanche, je suis tout seul, je monte le truc comme je veux. Et en fait le truc grossit, entre temps ma boîte se fait racheter, c’est un peu concomitant, par un gros groupe et ce gros groupe commence à remettre une pression sur les résultats, je me retrouve avec le DAF (Directeur Administratif et Financier) toutes les semaines à devoir justifier mes tableaux Excel multiples et ça me gonfle.

Et là pareil, il faut que je m’extrais, j’avais l’impression d’avoir trouvé un petit truc sympa avec mon libre arbitre et en fait je suis vite rattrapé et c’est à ce moment là que je me dis il faut que je change. Dans le il faut que je change, c’est vraiment, les vieux trucs de l’école reviennent, j’ai failli monter un bar, je vais faire un truc hyper cool avec des potes… et puis en fait je me dis c’est bête, parce que je pense que c’est un métier que je sais faire et que je fais d’une certaine façon avec un certain type de management et peut-être que c’est le moment de monter ma boîte et donc je décide de monter la boîte à ce moment là.

RR – Ça veut dire que, pour en revenir à ce que tu disais juste avant, après ta première prise de conscience sociale, là déjà quand t’es dans cette expérience là, tu mets en pratique cette prise de conscience ? L’agence que tu crées, tu la crées avec des relations différentes ?

FVH – Oui j’avais des relations différentes, qui en fait étaient juste du bon sens, c’est-à-dire des valeurs, ça tournait beaucoup autour des valeurs. Ça allait pas beaucoup plus loin que ça et je le dis volontairement, parce que je me suis rendu compte que c’était insuffisant, c’était bien mais c’était insuffisant. Quand j’ai monté la boîte, j’ai refait ça avec la volonté véritablement de travailler dans le respect, l’écoute, vraiment le respect de l’autre. Sauf que quand tu fais ça, ben ça marche mais quand tu grossis il faut que les personnes que tu recrutes aient déjà la même vision que toi, mais même si tu le fais et c’est ce qui m’est arrivé en le faisant, on a grandi et j’ai mis en place à ce moment là… fallait que j’organise, et du coup j’ai nommé des managers, on est devenu trente, quarante, il a fallu créer une organisation. J’ai mis en place des managers et j’ai vu apparaître comme un espèce de truc un peu méta, à un moment j’ai vu dans la boîte des fonctionnements toxiques qui étaient liés en fait à de la jalousie par rapport à la personne qui était nommée manager, à de la compétition entre des personnes qui sont en dessous, un peu de l’abus de pouvoir de certains managers, et puis parfois même avec toute la bonne volonté du monde, c’est compliqué de manager, c’est compliqué de prendre une décision, tu peux pas toujours faire plaisir. Et donc tu vois les gens qui, manager ou managé, sont mis dans des situations qui sont désagréables… A ce moment on est en 2013, ça faisait 3, 4 ans que j’avais monté la boîte, ça tourne mais c’est à ce moment là qu’il y a un peu de publicité, de documentation autour de nouveaux modes de management, c’est à ce moment là que L’entreprise libérée, le bouquin d’Isaac Getz, sort, il y a un reportage sur Arte et ça me questionne. J’ai des potes qui ont des boîtes qui me disent qu’ils ont expérimentés ça et je décide de l’expérimenter aussi, de basculer dans un mode de management où on pète la pyramide et où on est sur un mode de management horizontal basé sur la confiance.

RR – OK, alors attend je t’interromps parce que… volontairement, même si c’est très mal poli…

FVH – Mais je t’en prie.

RR – Parce que là on est en train de commencer à vraiment rentrer dans le domaine professionnel.

FVH – Ah oui tu veux pas, tu veux que je parle de moi.

RR – Oui avant j’ai encore un certain nombre de questions sur toi en tant qu’individu. Je comprends que ton engagement il arrive par le social, on verra après tout à l’heure dans une deuxième partie comment il a basculé du social à autre chose. Mais ça veut dire qu’à cette époque là, t’évoquais l’année 2014-2015, quid de la conscience environnementale ? Ça existe pas, du tout ?

FVH – Zéro, au sens où ça existe pas et je pense que c’est un truc dont j’entends parler, où j’ai l’impression… enfin c’est difficile, c’est un peu rétrospectif donc tu sais tu ré-écris l’histoire un peu mais moi je pense qu’à ce moment là c’est pas que je m’en fous c’est que je pense que ça me concerne pas, je pense que je suis pas vraiment concerné parce que je fais rien d’extraordinaire, et donc je pense que je m’exclus du problème. Je fais deux trucs, je ne comprends pas bien le problème du tout, ça c’est sûr, et pour le peu que j’en comprends, je m’en exclu.

RR – OK, est-ce que aujourd’hui quand tu réfléchis à qui tu es, est-ce que toi tu te considères comme un écolo ?

FVH – Aujourd’hui oui. Alors ça dépend de…

RR – Je suis content, t’es mon premier invité qui répond oui à cette question.

FVH – Ah oui mais pleinement, mais après… tu vois j’allais te dire défini écolo. Mais oui je me sens écolo et je vais te dire ce que ça veut dire être écolo. C’est ton rapport au monde vivant et non vivant, pour moi c’est ça, c’est de faire partie d’un monde dans lequel tu respectes tous les éléments de ce monde là. Mais même si tu rentres dans le débat, on va dire politique, la politique c’est désespérant, mais pour autant je suis pas gêné d’avoir une étiquette écolo, y compris dans un monde politique qui est désespérant.

RR – Mais c’est bien, c’est bien de l’assumer. Cet engagement environnemental aujourd’hui, quel forme il prend dans ton quotidien, dans ta vie, etc. Parce que l’autre jour je discutais avec je sais plus quel invité, mais on disait finalement que l’engagement c’était un ensemble de renoncement, donc quels sont tes renoncements, comment ça s’exprime cet engagement dans ta vie personnelle ?

FVH – Ça s’exprime parce que ce que je pense être pas mal de choses et en même temps que des choses qui sont un peu dérisoires. Enfin moi j’ai le sentiment… mais quand même si on fait résultat à date là, je prend plus l’avion, ça fait quand même pas mal d’années maintenant, trois ans je pense que je prends plus d’avion. Ce qui veut dire là on est à Paris, Nice-Paris c’est en train, il y a deux mois, j’ai même fait pour la première fois un aller-retour Nice-Paris dans la journée. J’avais une réunion à Paris et je devais être là le lendemain, donc tu te manges quand même treize heures de train.

RR – J’adore le train.

FVH – J’adore, du coup c’est pas un renoncement parce que j’adore le train. C’est pour ça qu’en fait rien n’est un renoncement, je mange beaucoup moins de viande, je m’achète beaucoup moins de choses, on fait beaucoup plus d’économies parce que on part en vacances proches. Je pense que mon engagement est vraiment autour de transmettre ça, aujourd’hui j’ai ajouté dans mon quotidien et dans mes quotidiens, parce qu’il n’y a pas que celui de la boîte, il y a plein d’autres trucs dans lesquels je me suis engagé pour transmettre ça, parce que quel impact on peut avoir ? On peut réduire notre impact, c’est à la fois important et probablement dérisoire. Je me suis dit qu’est-ce que je sais faire, je pense que je sais manager, je sais être pédagogue, je sais parler, je sais influencer et donc me saisir de cette cause là pour essayer humblement de porter le plaidoyer, en particulier dans le monde de l’entreprise… Parce que c’est aussi ça que j’ai vu à un moment, j’avais un statut de chef d’entreprise qui faisait qu’on m’écoutait différemment que d’autres personnes qui peuvent arriver avec une étiquette écolo, un peu…

RR – Illuminés…

FVH – Un peu une image d’Épinal, l’avantage quelque soit les cercles où je pouvais m’exprimer, que ce soit auprès de décideurs politiques locaux, auprès d’autres chefs d’entreprise, à partir du moment où tu dis moi je suis chef d’entreprise et voilà ce que j’ai fait dans mon entreprise ou voilà je vous raconte qui je suis, c’est con mais on t’écoutes plus, alors je me suis dit profites en qu’on t’écoutes pour essayer de le dire un peu plus fort.

RR – Quand tu dis dérisoire, je comprends ce que tu veux dire, c’est pas nos petits renoncements qui vont changer structurellement le destin collectif de l’humanité. En même temps je crois beaucoup à l’exemplarité, je crois beaucoup au fait que même si c’est des petits engagements, si on est beaucoup à faire des petits engagements, au bout d’un moment… il y a cette théorie comme quoi à partir d’un tout petit pourcentage de gens ça suffit à entraîner les autres.

FVH – Le point de bascule. Je suis 100 % d’accord avec toi mais je crois que c’est même pas ma première motivation. Ce que je voulais dire par là, par le fait que c’est dérisoire, je pense que je le fais plus par une quête de sens, et c’est en ce sens que c’est pas un renoncement. A partir du moment où t’as intégré, je te parlais d’écologie au sens du respect dans le monde dans lequel tu vis, que t’as intégré que telle pratique est délétère, qu’elle est même mortifère, pour moi c’est compliqué de la maintenir. En revanche je pense qu’il y a encore plein de pratique que je fais que je devrais changer. Par exemple quand je fais mes courses, il y a encore beaucoup trop de trucs que j’achète dans des emballages plastiques à usage unique, j’arrive pas à sortir de ce truc là, ça me gène mais j’y arrive pas. Mais je pense que ces choses là c’est pas tant en étant convaincu que mon action va changer le monde, en fait c’est une histoire d’être aligné.

RR – Tout à l’heure tu disais que tu avais des enfants. Ils ont quel âge tes enfants ?

FVH – 21, 19 et 16.

RR – Ah oui c’est grand déjà. Est-ce que ce sont des sujets, peut-être pas aujourd’hui parce que maintenant elles sont grandes, mais est-ce que c’est des sujets dont tu parlais avec elle facilement et c’est quoi le bon moyen de parler de ces sujets là à ses enfants sans les angoisser à mort et en même temps en leur donnant des billes sur la situation et sur ce qu’ils peuvent slash doivent faire ?

FVH – On s’est nourri, parce que quand je te disais 2014-2015 c’est encore très loin. Je pense qu’elles ont vachement contribué à le mettre dans mon champ de vision par leur propre réaction, par leur adolescence, par ces moments Greta Thunberg qui émerge, tout ça arrive à la table de la discussion, elles me font ouvrir les yeux, on échange et il y a quelque chose d’hyper vertueux qui se passe, c’est que moi je change, j’évolue, je l’intègre dans ma vie perso, je l’intègre dans ma vie pro… Alors ça aussi, je voudrais dire une chose, c’est facile de renoncer à l’avion quand on a bien profité, j’ai quand même le sentiment d’être hyper privilégié, des beaux voyages, y compris avec mes filles, j’en ai fait. Mais au bout d’un moment elles m’ont dit « Non mais on veut plus voyager », c’est elles qui ont dit à partir de 2018, nous on veut plus partir en voyage alors qu’on avait fait un voyage en Asie du sud-est, on était retourné au Vietnam, l’année d’avant aux États-Unis. Et puis à un moment c’est elles qui ont dit nous on voyagera plus, et du coup…

RR – D’accord.

(Rires)

FVH – Ouais c’est ça, du coup t’organises pas… Ce que je veux dire, c’est qu’on s’entraîne. Et pour répondre à ta question, effectivement je me rend compte qu’aujourd’hui leur prise de conscience les amène… je dirais pas que c’est de l’éco-anxiété mais c’est vraiment une quête de sens, il y a des enfants tu les vois se demander « À quoi bon faire tout ça ? ». Je crois que si je me mobilise autant dans mes différentes activités c’est aussi pour elles, à titre d’exemplarité, de dire tu vois tu peux trouver un truc qui a du sens, tu peux trouver un truc où tu t’éclates tous les jours, où tu rencontres des gens supers, où t’as l’impression d’avoir de l’impact, où en tout cas t’essayes d’en avoir, t’en as un peu mais c’est déjà ça. Je pense que si je le fais c’est aussi pour qu’elles aient une forme d’exemple, qu’elles en soient fières déjà, c’est mieux, enfin je sais pas mais j’ai envie que en tant que parent, mes enfants puissent être fières de moi et puis que ça les inspire et que ça les laisse pas dans le désarroi. Et le deuxième truc, je reviens à ma propre éducation, quand je disais il y avait une voie toute tracée, tu faisais ingénieur ou médecin, là pour le coup on a volontairement péter ce truc et vraiment les mettre à fond dans un schéma où elles doivent suivre ce qu’elles ont envie de faire, leurs envies. Et ça paraît d’autant plus important maintenant quand l’avenir est tellement incertain, tu te dis, mais les obliger à faire des études ? Sous prétexte que ouais c’est plus sûr, c’est plus sécuritaire…

RR – Quand tu disais oui c’est plus facile quand on a beaucoup voyagé, c’est sûr je suis d’accord avec toi. Quelque part nos renoncements aujourd’hui en tant que personne avec des situations aisées, qui ont déjà accumulé plein de richesses, c’est beaucoup plus facile évidemment et d’un certain côté beaucoup moins admirable que des gens que je vois faire des renoncements, notamment des jeunes qui pour le coup débutent dans la vie et débutent directement avec ce postulat, où là c’est vraiment impressionnant.

Juste d’un point de vue très pratique, comment tu te t’informes sur ces sujets là, comment tu te documentes, c’est quoi tes sources, qu’est-ce que tu aimes bien regarder ? Parce que j’aime bien donner des tips aux gens qui nous écoutent, s’ils ont envie de commencer à se documenter, à lire des choses. Qu’est-ce que tu conseilles toi ? Comment tu fais ?

FVH – C’est des lectures, des vidéos, différentes chaînes YouTube où tu tires sur le fil des choses, ça a commencé par Jancovici, Aurélien Barrau… j’aime bien la chaîne ThinkerView où t’as pas mal d’interview longues. Les formats longs, c’est pour ça que j’étais content aussi de faire ce podcast parce que je trouve que t’as le temps. Le problème médiatique c’est le temps. Après j’ai eu la chance de faire par ma boîte, que tu m’avais conseillé d’ailleurs et j’ai suivi ton conseil : la Convention des Entreprises pour le Climat où pareil, ça t’ouvre plein de portes, tu rencontres des gens, tu tires sur le fil, tu vas voir la vidéo, t’ouvres le sujet de la biodiversité au-delà du climat, t’ouvres le sujet des limites planétaires, tu te documentes, tu vas bouquiner, t’as plein de références de bouquins.

J’ai adoré aussi, on m’a conseillé, mais en mode un peu plus avancé, de lire Bruno Latour, l’anthropologue qui a tellement bien écrit sur la société post-moderne dans laquelle on est, enfin cet espèce de faux modernisme dans lequel on est.

Une fois que t’as cliqué, que t’as commencé à lire, l’avantage c’est que les réseaux sociaux… YouTube il te renvoie la sauce en fait, t’as qu’à cliquer sur le lien suivant.

(Rires)

RR – Ah ouais c’est l’avantage et l’inconvénient des réseaux sociaux.

FVH – Et c’est un énorme inconvénient parce que à un moment t’es convaincu d’avoir un contenu que tout le monde lit alors que…

RR – Alors que ton voisin Michel qui est climato-sceptique on lui poste que du climato-sceptique.

FVH – On est pas super nombreux. Tu parlais du point de bascule sociale, on est pas encore dans ce pourcentage.

RR – Je sais pas ça, j’ai l’impression quand même… ça fait partie des questions que je vais te poser mais, alors peut-être effectivement que c’est un biais, le fait de m’intéresser beaucoup à ce sujet là, de creuser beaucoup ce sujet là et donc d’avoir l’impression que je suis entouré de gens qui… j’ai quand même l’impression qu’il y a une progression. C’est d’ailleurs en lien avec ma question suivante pour toi : est-ce que tu es optimiste ? Sur la suite des évènements sur cette thématique.

(Rire)

FVH – J’ai deux réponses… La réponse c’est non. Un jour un directeur d’entreprise chez qui j’intervenais, m’a dit à la fin, à juste titre, mais en fait t’es un pessimiste actif. Et j’ai trouvé ça très juste, c’est vrai. C’est une première réponse, parce que je suis plutôt pessimiste, parce que j’ai du mal à voir, surtout quand tu vois la puissance du système qu’il faut changer, la puissance du système économique, la puissance du système financier, du système politique qu’il faut changer, tu te dis mais nous avec nos petits bras, c’est pas gagné, mais je reste actif. Ça c’est la première réponse. Et je crois que le fait d’être actif m’empêche aussi de sombrer dans une forme de déprime, ça c’est une réponse qui est une vrai réponse.

Et j’en ai une deuxième qui est plus positive, qui est que finalement je suis pas non plus hyper à l’aise avec cette notion de pessimiste optimiste, je crois fondamentalement, si on regarde bien, que le monde va déjà mal, c’est déjà la merde en fait, il y a plein de gens qui souffrent, les inégalités n’ont jamais été aussi grandes, le monde va très mal, et en même temps le monde va très bien pour plein de gens, dont je fais partie. Donc en fait on est déjà dans un truc qui est très, très ambigu, on n’est pas dans ça va et peut-être demain ça va pas aller. En vrai ça va pas mais il y en a pour qui…

RR – Ça peut empirer quand même.

FVH – Et ça va empirer, c’est à peu près certain que ça va empirer et c’est à peu près certain aussi que de toute façon ce truc peut pas durer. Il y a plein de raisons pour lesquels il ne peut pas durer, il peut pas durer économiquement parce que ça marche pas, il peut pas durer du point de vue des ressources parce que ça marche pas, il peut probablement pas durer politiquement parce que à un moment ça va… tu vois les populismes qui montent partout, l’étape dans laquelle on est en ce moment c’est Trump, Bolsonaro, etc. et peut-être aussi chez nous mais on sent un système qui est sous pression… le système terre, les limites planétaires, le vivant, au-delà de ça, il y a quelque chose qui est en ébullition et on a l’impression quand même…

RR – Il va se passer quelque chose.

FVH – Il va y avoir un truc chaotique et qu’est-ce qui sortira de ce chaos ? Ce truc là je sais pas si c’est de l’optimisme ou du pessimisme, c’est en fait une forme de réalisme et c’est comme ça. Et il ne m’effraie pas, je l’observe avec…

RR – Est-ce que ça, ça n’oblige pas, dans un certain sens, à la radicalité ? Est-ce que ce constat de dire ça va très mal, ça va aller de pire en pire, quelque part je caricature un peu ce que tu viens de dire mais c’est aussi un peu ce que je pense. Quelque part les politiques ne vont pas changer, en tout cas pas dans l’immédiat et le niveau de transformation qui est nécessaire est tellement haut par rapport à là où on est aujourd’hui que c’est pas comme ça qu’on va y arriver. Est-ce que ça, ça devrait pas, encore une fois j’utilise une image, c’est pas forcément ce que je veux faire, nous mettre tous dans la rue du matin au soir, à protester jusqu’à ce que les gens comprennent qu’il faut changer ?

FVH – Bien sûr parce qu’en plus ça marcherait. Oui je pense qu’il faut basculer dans la radicalité, après je pense que la radicalité peut prendre plein de forme différente, elle a une forme d’expression que tu viens de dire qui peut être d’aller justement manifester. On parle beaucoup aussi, en tout cas, d’essayer de changer un système de l’intérieur, je pense que être dans le système économique et essayer d’en changer les règles de l’intérieur… radical ça veut pas dire péter le truc, radical ça veut dire extrêmement exigeant dans ce qu’on veut…

RR – Radical ça veut dire aller à la racine du truc.

FVH – Voilà et ne pas céder dans ces discussions là, être au clair avec toutes tes parties prenantes là-dessus et si ça peut te permettre de gagner du terrain, il faut. Mais oui je pense que c’est être au clair dans le discours au moins et dans les actes.

RR – Mais avec un gros niveau d’exigence quand même, parce que sinon… je te dis ça parce que moi-même je pense que je me suis leurré pendant un certain nombre d’années avec un truc un peu trop soft. Je suis complètement d’accord avec toi, cette radicalité elle peut prendre plein de formes, chacun d’entre nous on peut être radical et c’est bien qu’on ait tous des formes de radicalités qui s’expriment différemment chacun dans notre univers etc. Mais par contre il faut qu’on ait une exigence qui soit très forte en matière de niveau d’engagement parce que sinon, si la radicalité c’est juste être au clair avec ce qu’on veut faire… tu vois ce que je veux dire ? Ce qui est déjà bien mais…

FVH – Tu as raison, elle est tellement difficile, je trouve, à mettre en œuvre dans un système qui a des leviers tellement forts. J’ai assisté à une conf…

RR – Tu veux parler des lobbys quand tu dis des leviers tellement forts ?

FVH – Par exemple, mais je vais te parler d’un autre truc, je l’ai entendu dans un débat aux rencontres philosophiques à Monaco, où il y avait Raphaël Glucksmann qui participait et il a mis en lumière un sujet mais il était pas le seul, parce qu’il y avait plusieurs intervenants, c’est que le débat public aujourd’hui, il se fait très principalement sur les réseaux et donc il met en lumière que le débat public il a lieu dans un espace qui est privé. Rien que cette assertion là, de dire que le débat public a lieu dans un espace qui est privé, qui est possédé par quelqu’un. Par quelqu’un qui peut modérer le débat qui a lieu sur cette plateforme là. Rien que cette idée là, elle est juste effrayante… et c’est ce qui fait que les algorithmes, tout te pousse à te mettre en communauté pour essayer de créer un peu du chaos. Donc t’es quand même dans quelque chose, au-delà même des lobbys, les lobbys c’est un problème évidemment, mais même ça, on a un système qui est quand même extrêmement puissant et dans lequel être radical… dans quelle mesure… je suis pas en train de dire qu’il faut pas l’être…

RR – Tu remets en cause l’efficacité alors ?

FVH – Ouais et je me dis il faut l’être mais je ne sais pas bien répondre à cette question, parce que j’arrive pas… si j’avais un truc où je me dis ça il faut le faire et ça, ça va marcher, je le ferais. Et en fait tout ce que je fais, j’ai l’impression de le pousser, puis il y a un autre truc, c’est tes propres contradictions, parce que nous il faut quand même qu’on renonce, tu parlais de renoncement mais tu vois jusqu’où on est prêt à renoncer, jusqu’où on est prêt à lâcher le confort dans lequel on est. Moi j’ai le sentiment intellectuellement d’être prêt à beaucoup mais pratiquement, je vis bien. Donc tu vois, ce décalage là j’essaye de le regarder aussi avec lucidité, de pas être donneur de leçon là-dessus parce que finalement je pense que je pourrais faire beaucoup plus, enfin je sais pas… parfois je fais la liste de tout ce que je fais, et je me dis j’en fais énormément…

RR – On en revient un peu au sujet de tout à l’heure, oui tu pourrais faire plus, par rapport à ta vie et à ton confort. Je suis d’accord, c’est un enjeu, mais c’est pas l’enjeu premier de la transformation du monde qui est attendue.

FVH – Non, je suis d’accord.

RR – Ce qu’on veut c’est des grandes politiques structurantes, un monde économique qui fonctionne différemment avec un objectif différent, une logique de croissance différente, un attendu quelque part de ce qu’est le bonheur.

FVH – Ouais une redéfinition de tout ça.

RR – Et la vie, qu’est-ce que c’est une vie réussie aujourd’hui ? Une vie réussie il y a trente ans c’est être riche, posséder beaucoup, voyager beaucoup, etc. C’est le changement des imaginaires mais ce changement des imaginaires en même temps je trouve qu’il porte en lui aussi un truc, pas gnangnan, mais c’est long quoi ! Est-ce qu’on a le temps de se dire il va falloir changer les imaginaires, oui c’est sûr il va falloir mais quelque part l’urgence elle est totale.

FVH – Je vais basculer sur une note d’espoir, c’est des échanges que j’ai eu avec des étudiants. On reprend l’exemple de la clope, quand je dis aux étudiants que quand j’ai commencé à bosser, on pouvait fumer dans les restos, on pouvait fumer dans les transports en commun, on pouvait fumer dans les bureaux, on pouvait fumer dans les avions. Tu vois leur gueule, ils disent : « Mais c’est pas vrai ! » Mon premier job, je parlais de Thomson, Thalès, c’était en open space où ça clopait, mon chef fumait tout le temps, clope sur clope. Et le jour où on a interdit la clope, il y a eu branle-bas de combat, acte liberticide, atteinte incroyable à nos libertés, etc. pour que finalement en une génération plus personne n’imagine qu’on puisse remettre la clope, y compris les fumeurs, dans les lieux publics.

RR – Déjà à l’époque il y avait une petite hypocrisie, je sais pas si tu te souviens, tout le monde venait fumer dans les wagons fumeurs en train et puis après aller se rassoir à sa place en non fumeur.

(Rires)

FVH – C’est çà, le wagon fumeur c’était horrible…

RR – C’était horrible, c’était un cendrier.

FVH – Et je raconte ça pour parler justement au-delà des imaginaires, d’un truc concret, d’un changement de société concret qui peut se passer sur une génération et d’un prisme qui change complètement. Et quand tu parles de ce qu’on doit changer par exemple dans nos façons de faire, un des trucs, effectivement tu as raison et j’abonde à 100 %, système économique, définition du bonheur etc., mais si tu reviens à des choses plus concrètes, les premières choses, pour ce qui est du climat, on va parler de la bagnole individuelle et de l’avion et de la viande. Avec pareil, lever de boucliers sur le nombre de gens qui te disent « mais la viande jamais question ». Et quand une jeune étudiante me pose une question « Mais ça gênait pas les gens à l’époque quand ça clopait partout ? », je lui dit mais non ça nous gênait pas parce qu’en fait ça faisait partie de la norme. Et je prend l’exemple de : regarde tous les matins, t’as les mêmes bouchons, 40 minutes pour rentrer dans Sophia, avec une personne par bagnole comme des cons, mais vraiment comme des cons, et je rêve d’un truc c’est que dans une génération, ça se trouve c’est toi qui sera à ma place, tu seras devant des étudiants et tu pourras leur dire « Vous vous rendez compte que moi quand j’ai commencé à bosser, il y avait des bouchons tous les matins à Sophia, tout le monde était tout seul dans sa voiture » et qu’on ait réussi en une génération, qu’il y ait quelqu’un qui te demandera « Mais les gens ils trouvaient ça bien ? » et là tu diras mais non personne trouve ça bien d’être dans sa voiture, pour autant tout le monde le fait.

Donc il y a quand même un moment, tu parlais de l’imaginaire, si on arrive à avoir une reconquête un tout petit peu de l’espace qu’on a du temps, de pas perdre de temps, de la marche à pieds, du vélo, en plus quand t’arrives sur Sophia ou sur Nice, t’es bord de mer, être dans un bouchon à cet endroit là, t’aurais tellement mieux à faire. Je me dis que dans le chaos, peut-être qu’il va émerger un truc à prendre.

RR – T’as raison mais en même temps j’ai l’impression que c’est long quand même par rapport au temps que l’on dispose sur la situation environnementale. Ce que je retiens dans ce que tu viens de dire, mais c’est mon petit côté vicieux, c’est le côté norme. Interdiction en fait. Je suis un partisan farouche du fait de mettre en œuvre un certains nombres d’interdictions liées à la situation environnementale et effectivement je suis convaincu comme toi, tu viens de le démontrer avec l’exemple du tabac, des trucs qui paraissent aux gens impensables, liberticides etc. sont des trucs qu’il faut quand même faire en expliquant pourquoi on les fait, mais qui paraîtront complètement normaux aux gens dans très peu de temps. Ça va très vite en fait. Et surtout de faire comprendre aux gens que ce qui est liberticide c’est de m’imposer à moi le fait que la situation se dégrade sans fin parce que les gens n’ont pas envie de rogner sur des choses qui leur paraissent normales mais qui sont complètement anormales.

FVH – Mais tout à fait, c’est ça qui est fou. Et alors ce sujet je l’adore parce que là on est à fond d’accord, mais c’est la même… le dogme de la croissance, quand j’entends les politiques dire « Moi je suis contre le dogme de la décroissance. », en fait ça me rend fou, parce que quand tu t’éduques, quand tu lis un peu, quand tu comprends d’abord comment fonctionne notre écosystème et l’économie, tu sais qu’il n’y a rien de plus dogmatique que le principe d’un PIB constamment croissant, ça on est dans un dogme pur, ce n’est pas vrai.

RR – C’est un mythe.

FVH – C’est impossible, c’est un mythe, c’est quelque chose qui est complètement fabriqué et qui structure nos politiques publiques, nos investissements et donc si là il n’y a pas, pour le coup tu parlais d’une entrave à nos libertés, s’il y a pas une préemption complète de nos libertés. Je trouve que oui il faut légiférer, tu parlais du point de bascule social, ce que j’espère aussi, c’est que si ce point de bascule social est atteint et qu’il y a un pourcentage de la population qui veut et qui est OK pour qu’on légifère, eh bien ils légifèreront parce que de toute façon on n’est qu’une clientèle pour les politiques. Je pense que, le jour où les sondages et où la population sera plus alertée par ça, que par la sécurité ou par la chute de la démographie, peut-être que le politique se saisira de ça.

RR – C’est vrai qu’il y a une responsabilité, enfin la population est conditionnée beaucoup par ce qu’on lui sert au quotidien, dans les médias. Je ne jette pas du tout la pierre aux médias, mais quant tu vois la différence de traitement médiatique entre certains évènements, je suis assez choqué. Alors j’ai rien contre, on pourrait en parler longuement, c’est un vaste sujet, mais quand dans le cadre d’une révolte d’agriculteurs, on plastique une direction régional de l’environnement et que tout le monde trouve ça normal entre guillemet, c’est une colère légitime et que à côté t’as un activiste environnemental qui jette un pot de soupe sur la Joconde et là c’est la fin du monde et c’est un terroriste. Tu te dis attends, qu’est-ce qu’on a envie d’envoyer comme signal aux gens. Mais oui je suis d’accord avec toi, je te rejoins.

Je voudrais qu’on bascule maintenant sur la partie professionnelle entre guillemets, parce qu’on va aller au-delà du professionnel. Et pour se faire, je raccroche le wagon à la discussion de tout à l’heure, donc on est en 2015, parce que ce qui est intéressant dans ton histoire, comment tu vas passer de cet engagement et de cette vision un peu sociale à ce que tu fais aujourd’hui. Donc là on est en 2014-2015 et c’est ta société qui s’appelle æpsilon, mais ça s’écrit ae. J’ai jamais su s’il fallait dire a-epsilon ou epsilon.

FVH – Il faut dire epsilon mais ça s’écrit æ. Ce serait long à expliquer. Il faudrait plus qu’un podcast.

RR – OK, d’accord. Donc ta société æpsilon en 2014, et là tu te dis que t’as essayé de transmettre des valeurs, je résume les épisodes précédents, t’as commencé à faire grossir ta société donc à embaucher des managers et tu commences à te rendre compte qu’il y a un certain nombre de trucs qui te plaisaient pas dans le monde du travail que tu vois réapparaître au sein de la boîte.

FVH – Ce qui me plaît le moins, c’est cette notion de… enfin je n’aimais pas l’infantilisation, j’avais l’impression d’en être sorti et je comprends que c’est… et c’est là que le parallèle va être fort avec tout ce qu’on vient de dire… que c’est le système même qui est comme ça, c’est-à-dire avoir un système avec des managers et du middle-management ne peut pas conduire à autre chose qu’une forme d’infantilisation, de compétition interne, de jalousie, de lutte de pouvoirs etc. En fait tu crées un mode de fonctionnement qui vient forcément avec ses travers et surtout l’idée que il n’y pas d’autres modes que celui-là, qu’une entreprise c’est comme ça que ça marche. Souvent quand je parle de notre expérience, et je sais que toi aussi tu as fait beaucoup d’innovation managériale…

RR – Mais je suis quand même pas complètement d’accord avec ça. Je garde un petit espoir que ce soit possible d’avoir une structure dans laquelle il y ait des managers intermédiaires mais qui ne tombe pas dans ses travers là. Mais c’est pas simple.

FVH – Je pense qu’il y a espoir mais je pense qu’il y a une question de… alors je vais être très concret, le premier truc qu’on a enlevé nous, c’est, même s’il y a du management intermédiaire pour gérer les activités, ce management intermédiaire n’a pas de pouvoir, personne dans l’entreprise n’a un pouvoir de décision, d’arbitrage, de validation, de sanction ou de promotion sur quelqu’un d’autre. Ça n’existe plus, donc l’idée c’est que pour pouvoir mettre en place des décisions, ça va passer nécessairement par un accord collectif ou par du consensus.

Quand tu résumes ça comme ça, les deux oppositions qu’on me donne sont toujours les mêmes. C’est, un, mais quand vous êtes pas d’accord, qui tranche ? Donc la nécessité d’avoir quelqu’un pour trancher quand les gens sont pas d’accord. Ou, l’autre alternative, c’est tout le monde vote sur tout. Et c’est marrant parce que tu te rends compte que tu as un schéma mental dans l’entreprise où tu discutes avec les gens et les deux premiers trucs qu’ils te disent c’est de toute façon c’est forcément l’un ou l’autre. Et ce que je mets en opposition, si tu prends l’exemple en société, mais en dehors du cadre du travail, dans un cadre social qui est par exemple le cadre d’amis dans lequel, je cite toujours cet exemple là, tu pars à 4, 5 couples, on l’a tous fait, en week-end ou tu prévois des vacances. Est-ce que le premier truc que tu fais quand tu prévois ça, c’est de dire bon on part pour 4 jours ensembles, ce serait bien qu’on nomme quelqu’un qui soit la personne qui arbitre le jour où on n’est pas d’accord ? Non. Tu fais pas ça et tu fais pas non plus un truc où toutes les décisions sont mises à la majorité et exposées à tout le monde. En fait ce qu’il se passe quand tu fais ça, c’est que quand t’organises un voyage comme ça, les zones de décision vont se répartir par zone de compétences, appétences, légitimité. C’est-à-dire que la personne qui adore chercher sur Airbnb, d’avance dans le groupe tout le monde sait qui c’est en plus, donc elle va dire « Moi je vais chercher », puis il y a une autre qui va dire « Ah moi j’aime bien, je vais chercher avec toi » et il y en clairement qui s’en foutent et surtout ne me posez pas la question en fait. Je ne veux pas participer à cette décision. Et puis d’autres qui vont donner leurs inputs, « Ben moi j’aimerais bien qu’il y ait tant de chambres… », et ça s’articule très naturellement par compétences, appétences, légitimité. Et c’est vrai pour tout, il y a quelqu’un qui va s’occuper des activités sportives, d’autres des activités culturelles, et puis sur le truc où tu vas pas te mettre d’accord, parce que si ça trouve tu vas pas te mettre d’accord sur la bouffe, on va dire ben on tourne, chacun fait la bouffe à tour de rôle, mais tu crées des modes de fonctionnement qui ne nécessitent pas une majorité absolue pour chaque truc…

RR – Je vois très bien ce que tu veux dire, c’est censé, mais est-ce que dans l’entreprise le problème qui n’arrive pas immédiatement, c’est que tout le monde finalement est capable d’adhérer à ce mode de fonctionnement sauf pour un truc qui les intéresse vraiment, c’est leur rém. Est-ce que c’est pas le sujet qui arrive tout de suite, parce que là c’est ton confort perso…

FVH – Mais la rém elle est intégrée à ce mode de décision là.

RR – Oui mais ce que je veux dire c’est que dans ton exemple d’Airbnb, ça marche parce que OK c’est elle qui va choisir le logement, qui va choisir le resto etc. Si t’arrives à un truc vraiment qui influe sur le confort des gens…

FVH – C’est une très bonne remarque et ce qui fait que nous on a ce mode de fonctionnement pour, on va dire les opérations ou le fonctionnement collectif. Toutes les décisions sont prises sous le même type de fonctionnement que le Airbnb. En revanche pour tout ce qui concerne l’individu, effectivement il y a un sujet, donc il y a un deuxième mode de fonctionnement : pour tout ce qui te concerne individuellement, tu choisis deux équipiers, mais c’est toi qui les choisis, c’est-à-dire que on t’impose pas un management et on t’impose même pas de choisir parmi un pôle de gens, tu choisis n’importe qui dans l’entreprise. T’en choisis deux et avec ces deux personnes, c’est ce trinôme qui va décider de tout ce qui concerne, y compris le salaire, de la personne.

RR – Et là, la tendance des gens, c’est pas de prendre leurs deux meilleurs amis pour décider d’un salaire qui va être hyper haut ?

FVH – Eh ben figure toi que c’est pas… non, ben non. Ça arrive, évidemment, alors oui et en tout cas, c’est le premier réflexe et certains, alors je pense que c’est le premier réflexe dans la tête de tout le monde, parce que à chaque fois que je le raconte…

(Rires)

RR – Je suis pas très original.

FVH – Je n’en attendais pas moins de toi, non c’est pas ça, tout le monde n’ose pas le dire. Mais il y en a qui le font pas, il y en a qui osent pas le dire mais qui l’essayent et puis il y en a qui le font carrément ouvertement. Mais en vrai le truc c’est que la responsabilité collective, ça je pourrais être long, en gros il y a eu plein de dysfonctionnements sur les deux premières années, de ce type là, mais qui se sont régulés, et qu’on a laissé faire en fait. Il y en a qui ont abusé, la seule barrière c’était de dire on peut s’opposer à la décision mais c’est pas un droit de veto absolu, c’est si elle porte préjudice à la qualité de service rendu au client ou si elle porte préjudice à la pérennité financière de l’entreprise. Il faut le démontrer pour ça, quelqu’un qui se sert bien mais qui met pas en danger la boîte, il s’est juste bien servi, d’accord, ça c’est arrivé. Sauf que quand c’est arrivé, ben je pense qu’il y a des gens qui faisaient partie de son trinôme qui n’ont pas très bien assumé le truc, qui sont venus me voir en me disant « J’espérais que tu mettes le veto, je n’arrivais pas à… » C’est vraiment arrivé. « Voilà j’ai cédé dans la discussion, parce que je me suis dit que tu mettrais ton veto. » Mais non, vous avez le pouvoir de dire non dans le trinôme.

On a fait vraiment de l’éducation sociale, ce que c’est que de vivre ensemble pour un objectif commun et un truc qui nous appartient à tous, en tout cas qui est notre bien commun qui est l’entreprise, même si elle n’appartient pas à tout le monde. Qui a fait que ça s’est régulé et aujourd’hui on peut dire qu’on a plus d’irritants et ça fait un moment, 2015 tu vois, ça fait un moment que ça dure. Et on a plus du tout d’irritant en terme social, parce que il y a quelque chose qui est sain dans le fonctionnement où tu rentres dans la boîte et t’es pas exploité, t’as pas à te méfier de ce qui va se passer, t’es en confiance, t’es mis dans des conditions de responsabilisations qui sont positives et qui font que ça marche très bien.

Et ce truc là, moi pour ça c’était la seule vocation. Et alors le truc hyper intéressant qui s’est passé, c’est que au bout de 3, 4 ans ça marchait bien, donc là on est en 2018, 2019, et comme ça marchait bien, ça fait un peu écho et on me demande d’intervenir et on m’invite dans les salons RSE. Et là c’est un autre point de bascule. Mais moi je fais pas de la RSE, je fais du management. On me dit ben si vous faites de la RSE. Je regarde et je me rends comptes de trois trucs. Premièrement effectivement on fait de la RSE, dans le champ social. Deuxièmement, on fait des auto-évaluations RSE, donc on reconstitue des indicateurs autour de l’égalité des genres, redistribution de la richesse, inégalité, etc. on les suivait pas ces indicateurs donc on les calcule rétro-activement et on se rend compte d’un truc : c’est qu’entre 2009 et 2014, quand on avait pas ce management, les indicateurs ont une évolution chaotique et à partir de 2015, poum, ils vont tous en s’améliorant alors que c’était même pas à l’ordre du jour. Tu te rends compte que le système a une vertu, il est, en tout cas du point de vue de l’observation RSE, il est juste socialement.

RR – Je vois ce que tu veux dire, c’est intéressant.

FVH – C’est hyper puissant. Sauf que dans l’évaluation RSE, tu fais aussi toute la partie sur la question environnementale et là…

RR – Ça va pas du tout.

FVH – Tu te rends compte que t’es juste médiocre. C’est à ce moment là que je réalise que je croyais faire des trucs et je suis hyper content de dire je trie mes déchets et on fait attention à pas trop de papier à l’imprimante et on éteint la lumière, et à la fin t’as un score de merde. A juste titre, parce que ce que tu fais c’est bien, mais t’es loin.

RR – Qu’est-ce que tu fais à ce moment là ? Qu’est-ce qui se passe ?

FVH – Là je me mobilise et je sais pas comment faire. C’est à ce moment là qu’on me propose la Fresque du Climat.

RR – Quand tu dis on te propose, on te propose de te la faire faire dans l’entreprise c’est ça ?

FVH – Oui. Quelqu’un que je connais à qui je dis que je sais pas par quel bout prendre le sujet et elle me dit « T’as entendu parler de la Fresque du Climat, il paraît que c’est vachement bien. » T’es fin 2019, début 2020, on fait la Fresque du Climat, on enchaîne avec l’atelier 2tonnes, et c’est vraiment le point de bascule perso et pro pour moi, je prends conscience…. Point de bascule que je continue de vivre aujourd’hui, j’ouvre la porte d’un chemin.

RR – Pour toi c’est ton moment de bascule, on en a tous eu un.

FVH – Et depuis je ne fais que comprendre plus.

RR – Attends, on va décomposer tout ça, parce que t’as parlé de plein de choses. Et je voudrais qu’on les isole un peu. D’abord la Fresque du Climat, je l’ai faite mais est-ce que tu peux décrire en une ou deux phrases de quoi il s’agit pour les gens qui connaîtraient pas.

FVH – C’est un atelier de trois heures, ludique, participatif, tu passes vraiment un bon moment et qui te fais comprendre les contenus des rapports du GIEC, le fondement scientifique du dérèglement climatique du aux activités humaines. Il te fait vraiment mettre le doigt sur pourquoi le climat se dérègle et pourquoi nous sommes 100 % responsables de ça. Sans aucune contestation possible, c’est pas un truc descendant, tu joues, t’es avec 6, 7 personnes avec qui tu joues et à la fin on a tous collectivement compris ça, et on se dit ah bah merde on savait pas que c’était à ce point là. Donc ça c’est hyper puissant, c’est ce qu’on appelle de la pédagogie active, tu reconstitues la connaissance par l’intelligence collective et cette connaissance qui te pète à la gueule c’est : on est 100 % responsable de ce qui se passe et c’est vraiment la merde.

RR – Qu’est-ce que tu penses de… Alors je l’ai faite plusieurs fois la Fresque du Climat, j’ai trouvé ça hyper instructif, très bien etc. mais je l’ai fait faire à pas mal de gens dont certains on trouvé ça bien sur le moment mais tu te rendais clairement compte que trois mois plus tard, ça avait été un bon moment et voilà.

FVH – Super bonne remarque parce que ça rejoint un peu ce que je fais aujourd’hui. Effectivement ça suffit pas, la Fresque du Climat c’est je pense un des meilleurs outils pour ouvrir la porte du sujet, mais c’est sur que si tu t’arrêtes là, la porte elle se referme et effectivement tu fais rien.

RR – Je vois beaucoup d’entreprises qui disent « Ah ben tiens c’est bon on a fait la Fresque du Climat ». C’est bien mais ça suffit pas.

FVH – C’est marrant que tu parles de ça, parce que là on rejoint vraiment ma vie pro d’aujourd’hui. Nous on a fait la Fresque, après on a fait d’autres ateliers, on a fait 2tonnes, je vais y revenir. Dans le principe, pour faire le récit en une minute, on fait ça, on trouve ça hyper puissant, on change plein de choses, on fait notre bilan carbone, on fait un plan de réduction des émissions, on se forme sur l’impact environnemental du numérique parce que notre boîte on fait du développement logiciel, on fait tout ça. Et on se dit on améliore, on commence à mesurer des trucs, pris par une dynamique parce que justement on le laisse pas en plan. Sauf qu’arrive le Covid, 2020, et on s’interroge sur le monde d’après et la vraie question existentielle sur est-ce que ma boîte elle continue. Je me suis dit à ce moment là, pour que ça continue d’avoir du sens, il faut que la métamorphose qu’on a vécu nous, il faut qu’on la fasse vivre à d’autres, et donc je me suis formé à l’animation de tous ces ateliers, on s’est formé à faire des bilans carbone et c’est une offre qu’on propose désormais.

RR – Une offre commerciale ? Que tu vends à tes clients ?

FVH – Au début je faisais des afterwork où j’invitais plein de clients pour faire découvrir. Puis ça a marché, j’avais cette arrière pensée mais c’était pas la première, au début c’était de me dire il faut qu’ils sachent. Et une fois qu’ils ont su, ils ont dit mais tu veux pas venir le faire à nos équipes, à nos directeurs… et en le déployant, je me rends compte à quel point effectivement si tu fais la Fresque ça suffit pas, derrière, les boîtes ont besoin d’être accompagnées dans cette transformation. Et c’est ce que j’essaye d’apporter désormais, nourri de ma propre transformation, parce que après j’ai continué, on est devenu entreprise à mission, on a fait la Convention des Entreprises pour le Climat et tu sais qu’elle t’apporte un nombre d’outils.

RR – Moi c’est ma… alors j’ai eu des petites bascules successives mais ma plus grosse bascule, c’est la CEC. Ça faisait longtemps qu’on était lancé sur notre thématique, que je pensais à ça mais la CEC a vraiment été le truc qui m’a poussé dans l’engagement.

FVH – Alors moi la CEC c’est pas mon point de bascule perso mais c’est celui qui m’a fait comprendre qu’il y a quelque chose à mener dans le champs économique et que j’ai mon rôle à jouer là-dedans parce que je suis installé dedans, de me dire c’est un levier. Et maintenant j’essaye d’aller… pour tout te dire, je suis devenu prof aussi, parce que je l’ai fait du coup dans la sphère éducation, j’essaye d’activer la transition ou en tout cas le changement auprès des entreprises et maintenant j’essaye aussi d’aller auprès des décideurs publics parce que je pense que c’est… Je me dis j’ai acquis une certaine maîtrise de ces ateliers là d’une part et puis t’accumules de la connaissance.

RR – Tu fais que la Fresque du Climat ? Parce qu’il existe d’autres Fresques aujourd’hui.

FVH – Alors je fais 2tonnes et je fais la Fresque du Numérique.

RR – Tu fais pas la Fresque de la Biodiversité ?

FVH – Non, alors parce que d’abord à un moment tu vois le catalogue des Fresques, c’est presque un peu risible de l’extérieur, tu te dis quand même les gars ils se font vachement plaisir, et à la fois c’est nécessaire. Je pense que les deux lectures sont exactes et je suis sur les ateliers qui m’ont vraiment marqué. Je trouve que la Fresque est hyper puissante et j’adore 2tonnes, vraiment un jeu que j’adore.

RR – Alors parlons-en, parce que là-dessus j’ai plein de questions et même des petites interrogations.

FVH – 2tonnes c’est un jeu qui a été créé par…

RR – A la base c’est un jeu ?

FVH – C’est un jeu oui. Créé par quelqu’un qui été frustré après la Fresque, qui été fresqueur, qui a animé des Fresques, qui disait « Mais faut un truc après la Fresque ». C’est un jeu qui te projette jusqu’en 2050, on est en 2024 et tu fais 8 tours de jeu jusqu’en 2050. T’es en groupe et tu alternes 4 tours individuels, 4 tours collectifs et tu prends soit une série d’actions individuelles pour réduire ton empreinte carbone, soit collectivement, tu te substitues aux pouvoirs publics, t’as des choix de politique publique à mettre en œuvre pour faire réduire l’empreinte carbone moyenne des français. Et t’as un algo qui te calcule en fonction de tes choix, comment tu fais baisser l’empreinte carbone avec l’objectif de 2 tonnes par français et par françaises en 2050, c’est ultra ludique, c’est hyper pratique parce que tu fais des choix, tu vois l’impact que ça a, ça te met vraiment les ordres de grandeur.

RR – Mais c’est un jeu qui doit être animé comme la Fresque du Climat ? Tu fais appel à une équipe qui vient dans ta boîte ?

FVH – Oui c’est un jeu qui dure trois heures avec un animateur. Mais c’est surpuissant, parce que tu te rends compte en plus que c’est possible et tout la discussion qu’on a eu préalablement sur la complexité des choix politiques, tu te rends compte que même avec 7 personnes autour de la table, le débat sur telle politique plutôt qu’une autre, il va s’enflammer. Tu prends conscience de à quel point c’est dur mais à quel point c’est possible, mais que il faut se bouger, il faut se mettre ensemble, etc. Il y a quelque chose qui est très bien fait pédagogiquement, ça c’est un atelier que j’anime aussi et je suis même, comme pour la Fresque aussi, au-delà d’animer, je me suis engagé dans ces assos et dans ces projets là.

RR – Donc tu fais aussi des ateliers 2tonnes ?

FVH – Oui.

RR – Parce qu’en fait sur le 2tonnes…

FVH – Alors c’est quoi tes questions ?

RR – De manière totalement transparente, alors je…

FVH – Tu l’as fait ?

RR – Non justement j’avoue que je l’ai pas fait. J’avais une vue assez lointaine du truc, mais moi le truc de 2 tonnes me fait un peu flipper de manière générale, parce que tu sais c’est un chiffre que t’entends beaucoup. Et il me fait flipper pour deux raisons. D’abord si tu t’intéresses au truc et que tu te dis mon objectif c’est 2 tonnes et que tu commences à faire ton propre bilan carbone et même si tu fais des efforts tu te dis mais en fait moi je suis très, très, très loin du compte et pourtant au milieu des autres je fais pas mal. Donc en fait je trouve que ce chiffre de 2 tonnes martelés comme ça peut avoir un petit côté décourageant.

Deuxième point je trouve qu’il est un peu, je sais pas comment exprimer ça, dans le monde on a des impacts qui sont très différents, et c’est un truc qui me semble un peu franco-français alors qu’en réalité si on devait faire proportionnellement à l’impact qu’on a ou qu’on a eu, peut-être qu’il faudrait faire même mieux que ça en réduction objectif.

Et puis le dernier truc qui me fait un peu flipper c’est le fait de se dire finalement, ça revient un peu à ce qu’on disait tout à l’heure, est-ce que c’est pas une manière aussi de faire revenir le poids de tout ce qui est à faire sur l’individu. L’objectif c’est 2 tonnes, donc si chacun de nous on arrive à 2 tonnes, c’est bon, on sera sauvé, alors ça me rassure un peu parce que tu m’as dit que dans le jeu il y avait justement des politiques publiques. Parce que pour moi l’enjeu c’est les politiques publiques.

FVH – Le jeu montre justement que tout seul tu peux pas le faire. Le jeu montre que ça demande des politiques publiques. Le jeu montre que ça demande un point de bascule social. C’est ça les vrais enseignements du jeu, sur le reste je suis d’accord avec toi, faut être attentif pour l’animatrice ou l’animateur à faire passer les bons messages. Que d’abord c’est une cible qui montre l’ampleur du travail à faire mais si tu la prends au pied de la lettre pour chaque individu, c’est pas effectivement la bonne analyse de ce qu’il se passe, je suis d’accord avec ça. Là où il est pédagogique c’est qu’il montre que les petits éco-gestes suffiront pas, que il y a besoin d’une transformation qui est systémique, qu’il y a donc besoin de faire bouger au sein de ton entreprise, au sein de ta collectivité locale, dans ton bulletin de vote, dans ton engagement. Enfin les gens ressortent de là en se disant ouais si on veut que ça bouge, va falloir quand même s’y mettre à plusieurs et c’est très concret.

RR – Ça veut dire que c’est ton conseil ? Si jamais je suis chef d’entreprise et que j’ai rien fait encore, c’est de faire ça dans cet ordre là ? C’est commencer par la Fresque du Climat et ensuite enchaîner avec l’atelier 2tonnes ?

FVH – Oui c’est ce que j’ai fait et qui a hyper bien marché pour moi. La plupart des chefs d’entreprise que je vois, ils disent, une fois qu’ils ont fait les deux « Heureusement qu’on a fait 2tonnes. » et à la limite si t’es déjà un peu sachant, je pense que la Fresque, ça fait depuis 2018, 2019 qu’elle existe, elle commence à être connue… mais bon pareil déformation des prismes des cercles dans lesquels on est.

RR – Je pense qu’il y a beaucoup d’entreprises qui ne l’ont pas faite quand même.

FVH – Oui ou des gens qui ne savent rien, mais à la limite si t’en fais qu’un, fais 2tonnes. Parce que t’es dans l’action direct. Il est presque plus puissant pour ça. La Fresque là où elle est bien, c’est qu’elle te met en lumière le truc, mais il faut du temps, c’est 3h à chaque fois, tu mobilises des moyens, les équipes. Et souvent le retour que j’ai des chefs d’entreprise, ils me disent « Mais 2tonnes c’est vraiment génial ». Et quand ils ont fait les deux ils disent « C’est celui là que je préfère ».

RR – L’autre truc auquel je pense souvent. C’est le rôle du dirigeant. C’est pour ça que j’aime bien la Convention des Entreprises pour le Climat parce que ça a été conçu comme un parcours du dirigeant, parce que je suis quand même assez convaincu qu’il faut vraiment à tout prix embarquer le dirigeant et que parfois, je fais pas du tout de généralité, mais c’est des choses que j’ai vu, tu peux avoir des dirigeants qui parfois même font faire la Fresque mais la font pas eux-mêmes.

(Rires)

FVH – Oui je l’ai vu ça.

RR – Et derrière vont faire faire l’atelier 2tonnes sans le faire eux-mêmes et derrière ont l’impression que quelque part le job est fait. Ce qu’ils devaient faire a été fait, tout le monde est sensibilisé. Mais en réalité la vraie transformation elle commence le jour où lui il prend conscience du problème, qu’il commence à réfléchir à comment je peux transformer mon modèle… et c’est ça un peu la limite. Dans quelle mesure est-ce que toi… par exemple est-ce que tu imposes que le dirigeant le fasse ?

FVH – Alors…

RR – C’est une idée que j’essaye de te soumettre hein.

FVH – Alors en fait je crois que j’ai pas eu le cas.

RR – Parce que c’était des PME aussi non ?

FVH – Non je l’ai eu qu’une fois, alors je sais pas si je peux balancer…

RR – Non, non, le dis pas parce qu’après on fera pas de montage donc on coupera pas.

FVH – Non, non, je vais pas balancer. Je l’ai eu une fois mais en plus c’était plutôt dans le monde des pouvoirs publics. Où justement à la tête de l’organisation dans laquelle je le faisais, effectivement, le directeur n’a pas assisté à la Fresque mais il se trouve qu’il a lancé derrière tout un programme de déploiement de la Fresque au sein de l’organisation. On a fait un 2tonnes, il l’a fait. J’ai pas eu d’autres cas. Mais oui pour répondre à ta question, pour moi les dirigeants il faut absolument qu’ils le fassent.

RR – Et je tire le trait un peu plus. Je suis dirigeant d’entreprise, je veux savoir comment rentrer là-dedans, j’y participe, je fais l’atelier 2tonnes, j’y participe, et après je fais quoi ?

FVH – Après c’est la que ça commence en fait. Alors il y a premièrement le sujet carbone, tu peux faire un bilan carbone. Mais il y a pas que le carbone en vrai, la problématique environnementale est bien plus vaste que ça.

RR – Alors super le bilan carbone, pareil je vais te dire un truc, je trouve ça absolument indispensable etc. mais pareil parfois je trouve que c’est un peu le truc qu’on te met devant le visage. C’est bon j’ai fait mon bilan carbone.

FVH – Le vrai truc c’est d’avoir un plan de transformation de l’activité ambitieux, qui en général commence par voir quels sont les postes dans lesquels on peut réduire les impacts négatifs qu’on a d’un point de vue environnemental et pour se projeter à moyen terme comment on peut transformer…. À un moment on va être en butée, c’est comme le coup de réduire ton empreinte carbone dans un atelier 2tonnes d’un point de vue individuel. La moyenne d’un français, d’une française c’est 10, tu peux atteindre 8, 7 assez facilement sans vraiment te mettre dans le rouge. Après aller chercher les trucs supplémentaires ça devient compliqué. Dans l’entreprise pareil, tu peux avoir conscience de tes impacts, les réduire et derrière réfléchir à une vraie transformation systémique de ton organisation. Mais ça…

RR – Ça nécessite d’avoir un plan d’actions, comment tu l’appellerais sinon, un autre nom pour ce plan d’action, tu dirais quoi ? Un synonyme de ce plan d’action…

FVH – Ah une feuille de route !

RR – Ah voilà ! Ça y est, on y est !

(Rires)

RR – Mais je suis d’accord. D’où le truc génial de la CEC.

FVH – Et c’est éclairant ce truc de la CEC, de la feuille de route. A un moment il faut que tu te fixes un cap et une feuille de route.

RR – J’en fais la pub parce que je sais qu’en ce moment on est en train d’essayer de monter plein de CEC sectorielle, régionale et j’essaye d’inciter un maximum de gens et notamment de dirigeants à faire ce parcours parce que c’est absolument fondamental.

FVH – Il faut, tous mes potes dirigeants, je leur dis, c’est surpuissant comme truc. Tu l’as dit, ça t’as transformé et puis ça te donne une méthode. Et puis il y a un truc génial, tu te rends compte que t’es pas seul, t’es quand même entouré de… sur PACA-Corse on était 70 dirigeants dont des gens de grosses boîtes. Tu te rends compte que t’es pas seul et tu te rends compte que ce qui émerge, parce que tu l’as vécu dans les camps de base, dans les co-développements, il émerge des trucs forts et tu te rends compte qu’on peut faire des choses.

Et je reviens sur la transformation managériale, je pense que le point commun que j’y mets… A un moment sortir d’une idée qu’on peut pas fonctionner autrement, ça me rend fou quand on pense ça. Oui on peut fonctionner autrement dans les process de décisions d’une entreprise et oui on peut fonctionner autrement économiquement, on peut fonctionner autrement avec la concurrence et les clients. Et c’est pas on peut, c’est il faut en plus. Et la vérité c’est que quand tu le fais, tu te sens mieux après. Je suis beaucoup plus épanoui en tant que chef d’entreprise depuis qu’on a fait la transformation managériale et encore plus depuis qu’on se jette dans cet enjeu là, parce que toutes tes relations deviennent des relations à valeurs ajoutées, t’arrive à gommer le côté chiant du travail qui est quand même le conflit, la toxicité des gens, l’agressivité, la brutalité, enfin je sais pas, moi j’aime pas, c’est pas très épanouissant.

OK tu peux te marrer une fois en ayant une bonne joute verbale en mode négo, ça te met un pic d’adrénaline mais en vrai c’est pas très épanouissant. On parlait de la définition du bonheur…

RR – Je suis d’accord. Eh ben c’est cool Franck, on est pas loin de la fin, juste une question un peu traditionnelle dans ce podcast, est-ce que t’as bien aimé ? Est-ce que t’as kiffé ce podcast ? Qu’est-ce que t’en a pensé ? Parce que parfois les gens ont des réactions différentes, donc comment tu l’as vécu toi ?

FVH – D’abord je l’ai très bien vécu parce que tu me reçois bien, donc je suis content de te voir.

RR – Juste de l’eau, je précise qu’il y a juste de l’eau.

FVH – Juste de l’eau mais tu vois on est bien, on passe un bon moment. Et tu me l’avais dit un peu, mais j’ai été surpris effectivement que l’on ait fait un détour pour parler un peu de qui je suis et je trouve ça intéressant, alors j’espère que ça intéressera, en tout cas pour moi ça a été intéressant. Et je trouve ça génial de participer à ça parce que je crois que ça contribue justement à faire en sorte que voilà, faut que ça brasse, faut que ce point de bascule social on l’atteigne, donc voilà et je me suis régalé.

RR – Eh beh écoutes merci, bravo à toi en tout cas pour tout ce que tu fais. Donc j’incite un maximum de monde à se lancer dans ce parcours que tu nous as décris : Fresque du Climat, atelier 2tonnes et Convention des Entreprises pour le Climat.

FVH – Ah ouais ça c’est strike.

RR – Plus on sera à être là-dedans et plus on se donnera de chance de transformer ce système économique de façon durable et intéressante. Merci à toi, à très bientôt Franck.

FVH – Merci Romain. Ciao !

Image par Entre_Humos de Pixabay

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