Dans leur podcast, Projet E-TV ont invité Franck Vu Hong, fondateur d’æpsilon. Un interview qui nous invite à réfléchir sur notre rôle et notre responsabilité envers l’environnement et la société. De la Fresque du Climat à la Fresque du Numérique, en passant par les associations comme 2tonnes et le Mouvement Impact France, Franck nous montre qu’il est possible de concilier économie et écologie, tout en redéfinissant notre rapport au monde.
Transcription du podcast Projet E-TV
Projet E-TV – Tu te dis mais alors je fais quoi ? Est-ce que je fais rien parce que j’ai aucun impact. Mais si je fais rien, j’ai un impact quand même, négatif. Ou est-ce que je fais, mais mon impact positif il est minime, est-ce que… enfin… c’est horrible, c’est horrible !
Franck Vu Hong – Il faut assumer faire au mieux le rôle absolument dérisoire que tu as. C’est une quête de sens. Alors je sais il y a plein de gens qui vont dire « Moi mon expérience de vie tu vois, j’ai plein de thunes, j’ai fait un million, je vais à Dubaï et mon expérience de vie elle est géniale. » À la limite, assumer ça jusqu’au bout, c’est une forme de cohérence que je respecte. Moi j’ai pas envie de contribuer à ça ou en tout cas j’ai envie d’y contribuer le moins possible et là tu te raccroches à quelque chose, mais je te cache pas où il y a plein de soirs où je me dis «Pff, à quoi bon ».
E-TV – On pourrait presque conclure comme ça alors que le podcast n’a même pas encore démarré. On attaque ?
FVH – Allez c’est parti.
E-TV – OK, allez super.
[Musique]
E-TV – Bonjour Franck.
FVH – Bonjour Marion.
E-TV – Merci d’être avec nous aujourd’hui. Je prends mes notes parce que t’as un parcours qui est relativement, un CV je pourrais dire, qui est relativement fourni. Donc je me cache pas, je peux pas tout retenir. Tu es fondateur de l’entreprise æpsilon mais pas que. T’es aussi animateur et d’autres statuts, tu nous en parlera un petit peu plus mais on va se concentrer sur ça : animateur pour la Fresque du Climat, la Fresque du Numérique, tu es administrateur pour 2tonnes, ambassadeur régional du Mouvement Impact France et c’est le cumul de tout ça qui fait qu’aujourd’hui on a voulut t’avoir en podcast. Je te propose de nous parler de ton parcours directement.
FVH – Ben déjà merci pour l’invitation. Je suis, depuis que j’ai commencé à travailler, dans une quête de sens un peu continue. Aujourd’hui j’ai 50 ans, trois grandes filles, j’ai commencé à travailler au siècle dernier, c’est littéralement vrai.
La première quête de sens que j’ai eu quand j’ai commencé à travailler, elle était plutôt humaniste et sociale, c’est-à-dire ça m’a tout de suite choqué que le monde du travail soit un monde aussi travesti, aussi faux et d’une certaine façon aussi perverti. Et surtout en fait dans ses relations sociales. Et donc j’ai monté ma boîte il y a 15 ans, æpsilon, entreprise de services numériques à Sophia Antipolis.
E-TV – T’as fait le constat du salariat, tout ce que ça impliquait.
FVH – Ouais.
E-TV – De tout l’aspect social, humain, qui était pour toi…
FVH – Délétère et toxique.
E-TV – Du coup tu t’es dit je veux pas de ça, je veux faire selon mes règles, selon mes aspirations.
FVH – J’ai voulu m’extraire de ça et sortir de ce système là, puis proposer autre chose aussi. Je voulais que les personnes qui travaillent avec moi puissent expérimenter autre chose. Et l’expérimentation on l’a poussé loin parce que j’ai créé la boîte en 2009 et on a testé plusieurs systèmes de management jusqu’à arriver en 2015 à basculer vers un système de management inspiré des entreprises libérées, entreprises opales, où on abolit complètement la hiérarchie traditionnelle. On est que sur un fonctionnement d’auto-évaluation, d’évaluation par les pairs, qu’on a choisi, d’une culture du consensus. Et on abolit tout ce qui concerne en fait… il y a plus personne chez nous qui a des pouvoirs de décision, d’arbitrage, de sanction, de promotion, de validation pour proposer une autre façon de travailler ensemble, qui fonctionne bien depuis 2015 et qui dont la partie la plus saillante même si elle n’est pas la plus importante mais c’est une conséquence : aujourd’hui chez nous les salarié·es auto-déterminent leurs salaires. On est allé jusque là.
Et donc ça, ça a bien fonctionné et ma quête de sens elle a commencé comme ça. Sur la partie sociale et humaine. Et comme ça a fait écho et ça a bien fonctionné, on a commencé à être invité sur le territoire de Sophia, pour témoigner dans des clubs d’entreprise, dans des écoles. Et on a été invité à des salons RSE. Et moi, à ce moment là, je connaissais l’acronyme RSE mais je voyais ça très loin et je ne savais surtout pas que j’en faisais. Et on m’a invité, je dis « Mais moi je fais pas de RSE, je fais du management en fait ». On m’a dit « Non mais tu fais du management, mais en fait le management que tu fais, c’est de la RSE ».
E-TV – Complètement.
FVH – Et je savais pas. Je me suis renseigné, j’ai vu que c’était le cas, j’ai vu qu’effectivement sur l’aspect social, on était vraiment dans le champ de la RSE, mais on s’est rendu compte à ce moment là, en 2019, qu’on avait des indicateurs environnementaux absolument médiocres. Alors qu’on pensait être des gens responsables ou en tout cas respectueux de l’environnement.
E-TV – D’accord.
FVH – Et en fait quand on fait notre évaluation, on est médiocre et moi ça m’a vraiment marqué. 2019, ça correspond aussi à un moment où mes filles elles avaient à ce moment là 17, 15, 13 ans. Elles étaient très engagées en terme environnemental. Tu vois c’est l’émergence 2018 de Greta Thunberg. Et qu’elles ont pris comme rôle modèle mais pas que, en tout cas ça faisait partie des discussions qu’on avait à la maison.
E-TV – Ouais, des figures qui ont commencé à marquer leurs générations.
FVH – Ouais et en fait la combinaison de ces deux choses là, c’est-à-dire constater que mon entreprise était médiocre d’un point de vue impact environnemental et l’émergence dans la société… En tout cas devenu audible pour moi, parce que je pense que ça a émergé avant, mais moi jusque là je l’entendais pas… de ce mouvement là, m’a vraiment interrogé. Et là je me suis dit il faut qu’on fasse quelque chose. Et je savais pas trop par quel bout prendre le sujet et on m’a proposé la Fresque du Climat à l’époque. Et puis 2tonnes, puis la Fresque du Numérique, parce nous on est dans les services numériques. Et je peux dire, que cette bascule là, a changé ma vie. C’est-à-dire que elle a tout transformé dans l’entreprise, on a à ce moment là pris conscience de l’ampleur de la catastrophe environnementale, pris conscience des leviers d’action qui étaient à notre main, on a fait un bilan carbone, on a mis un plan de réduction des émissions, on a mis en place l’éco-conception pour réduire l’impact environnemental du numérique. Et est arrivé le Covid et l’interrogation que tout le monde a eu sur le monde d’après, à laquelle j’ai pas échappé. Et surtout, moi je me suis dit, toujours en quête de sens, mais si on survit c’est pour faire quoi ? Parce que ce monde est complètement délirant. Et c’est à ce moment là que la décision je l’ai prise, de dire mais si on sort du Covid, en fait, c’est pour que l’entreprise devienne un accélérateur de transition, un vecteur de transition. Et dans ce cas là, comment on peut le devenir, ben en utilisant les outils qui ont fonctionné pour nous. Donc je suis devenu à ce moment là, effectivement, animateur et je me suis engagé dans la Fresque du Climat, dans 2tonnes, dans la Fresque du Numérique. Il y a plusieurs échelons, donc on peut être animateur, puis formateur, c’est-à-dire on forme les animateurs, puis instructeur, c’est-à-dire on forme les formateurs. Donc voilà j’ai gravi tout ça, je suis devenu instructeur au fil du temps, je suis devenu référent territorial sur le département, donc pour l’association.
Le projet 2tonnes, qui est un autre atelier que j’adore, quand je l’ai fait, j’ai adoré l’atelier, donc je me suis engagé pareil, je suis devenu animateur, formateur. Et puis je me suis engagé là encore plus fort, je me suis présenté à l’élection du conseil d’administration et puis à l’échelle de l’entreprise, on a engagé l’entreprise, j’ai engagé l’entreprise dans la Convention des Entreprises pour le Climat, qui est le pendant entreprise de la Convention Citoyenne pour le Climat, à laquelle mon entreprise æpsilon a participé. Et puis plus récemment, c’est mon dernier engagement, le Mouvement Impact France, qui est le syndicat des dirigeants qui mettent l’impact social et environnemental au cœur de leur activité.
Voilà un peu comment, dans mon parcours, ces prises de conscience et cette quête de sens venant au fil du temps, ben je me suis saisi de tous ces sujets. Et qui fait que j’ai toutes ces casquettes là aujourd’hui.
E-TV – Oui donc il y a eu un premier constat, et ensuite la vie et les expériences t’ont ramené des objectifs en plus, d’engagement, où tu t’es dis, voilà l’aspect humain, social, on a énormément avancé dessus, on est bon. Maintenant qu’est-ce qu’on fait pour la suite ? Et surtout ce que je trouve marrant, c’est que tu disais, « en fait je savais même pas que je faisais de la RSE », je savais même pas que je faisais partie de la RSE, donc c’était même pas pour dire de cocher des cases, c’était je veux faire ça, je veux aller dans ce sens et ensuite on a juste mis finalement des étiquettes et des noms à ce que tu faisais, la RSE, des choses comme ça.
FVH – C’est pour ça que je te parle de quête de sens, c’est parce que pour moi c’est ce qui, en tout cas dans mon cas perso, c’est ce qui domine, c’est rétablir un rapport aux autres qui est sain et de pouvoir avoir des interactions sociales saines et un rapport aux autres qui est sain dans le cadre du travail et dans le quotidien, je me suis rendu compte qu’en fait la question c’était même un rapport au monde qu’il fallait interroger. Quand on ouvre la boîte de Pandore de l’environnement et de notre impact sur l’environnement, voilà on se rend compte qu’en fait là… c’est démoralisant au début…
E-TV – Oui.
FVH – Parce que on se rend compte qu’on est complètement à côté de la plaque mais moi dans ma quête de sens, ça a sollicité le fait de ré-équilibrer mon rapport au monde. Mais ce qui est intéressant, c’est que je me suis rendu compte aussi d’une chose, parce que je suis rentré dans une sphère, dans un éco-système, aujourd’hui on est beaucoup comme ça, de personnes engagées et que mon statut de chef d’entreprise et d’entrepreneur me conférait une légitimité et un statut que j’avais pas cherché, et je suis pas sûr qu’il soit très juste, mais c’est comme ça. C’est-à-dire t’arrive quelque part, tu veux parler de transition environnementale et tu dis je suis chef d’entreprise et j’ai fais ça, les gens t’écoutent et à la fin ils te disent merci.
E-TV – Oui parce que si t’avais pas ce rôle, cette casquette là de chef d’entreprise, c’est possible que du coup, tu sois rentré dans la case juste de l’activiste, de l’utopiste…
FVH – Ah du pervers !
E-TV – Ouais, qui n’a pas conscience de l’enjeu économique…
FVH – Ben ouais c’est ça.
E-TV – … du monde, de ce que ça représente, qu’on peut pas juste s’engager…
FVH – Exactement.
E-TV – … et qu’il y a des choses plus grandes qui te dépassent. Non là, t’as conscience, t’as les deux pieds dans… enfin t’as un pied de chaque côté. Et tu sais ce que ça représente d’être dans l’économie, d’avoir une entreprise, de faire vivre aussi des gens grâce à ton entreprise mais pour autant de s’engager, et que c’est pas juste…
FVH – Alors ça me fait penser à un truc, on est dans la Convention des Entreprises pour le Climat, donc là c’est 70 dirigeants du territoire qui s’engagent, qui se réunissent pour réfléchir à une nouvelle, justement à une transformation de l’économie au service de l’environnement et des humains. Mais que des chefs d’entreprise et il y a une conférence avec le représentant du MEDEF et y’a un débat qui s’instaure autour de la transformation de l’économie, et il commence à sortir cet argument. Et il dit « Oui mais moi j’ai des salariés à faire vivre, etc. » Et là, mais toute la salle se met, mais non mais, à rire. J’veux dire, ben comme nous tous en vrai. Et nous tous on est en train de s’engager et en fait c’est possible. C’est compliqué, c’est difficile, ça demande du temps etc. Mais déjà c’est possible et ça commence par le vouloir et pas l’écarter d’un revers de main en se disant il y a l’économie d’un côté et il y a le social et l’environnement de l’autre. C’est une catastrophe de penser les choses comme ça.
E-TV – Est-ce que tu peux nous expliquer en quoi consiste les différentes Fresques que tu animes et les différentes associations dans lesquelles tu es engagé ?
J’ai participé à une Fresque du Climat à Menton, le jour de la finale de la Coupe du Monde, pour boycotter cette action là.
FVH – Bravo.
E-TV – J’ai adoré l’expérience, donc j’ai une idée déjà de ce qu’est la Fresque du Climat mais je pense que ça parlera pas à grand monde, donc je t’en pris, explique nous tout ça.
FVH – Alors on va commencer par la Fresque du Climat qui est un petit peu la mère de tous les ateliers, parce qu’en fait… vraiment, je pense que dans cet écosystème là, c’est venu comme ça et c’est l’atelier qui a eu le plus de succès, c’est un jeu de cartes, qu’on joue pendant 3 heures, ça paraît long mais en fait elles passent très vite ces 3 heures là. On joue et on reconstitue la connaissance scientifique qui a derrière le phénomène du dérèglement climatique. C’est pas l’animateur ou l’animatrice qui explique des sujets, c’est le groupe de 6, 7 personnes autour de la table qui reconstitue la connaissance et qui se rend compte que grâce à des cartes toutes simples de jeu, sur lesquelles il y a expliqué des phénomènes, ils arrivent à reconstituer ces connaissances. Et à la fin ils sont juste désarmés, parce qu’ils ont compris que scientifiquement, le sujet il est imparable.
Ils comprennent un deuxième truc, c’est que l’homme est 100 % responsable, l’être humain est 100 % responsable de ce qui est en train de se passer. Nous on arrive avec notre activité humaine, notre société de consommation et on dérègle ce système là sur une période de cent ans et en revanche on comprend aussi, comme on comprend d’où ça vient, on comprend quels sont… comment on peut agir.
2tonnes, c’est l’atelier qui vient juste après. Il repart de la Fresque du Climat et il dit OK du coup il faut agir et il faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Il faut réduire notre impact sur l’environnement, c’est Retour vers le futur, j’ai vu dans le studio qu’il y avait une affiche de Retour vers le futur avec la DoLorean, mais c’est ça, on va aller dans le futur. Et on va, pendant 1h30, à chaque étape du jeu, chaque tour de jeu, on avance dans le temps et on prend des décisions individuelles, collectives et je vois quelle décision de politique publique je prends, quelles conséquences elles ont sur l’empreinte carbone moyenne des français. Et donc on se rend compte d’un truc, ce passage à l’action et cet Everest qu’on se dit mais on va pas y arriver, ben on se rend compte que bah ouais si on peut réduire.
Et donc ces deux ateliers là, ils sont supers puissants, parce que c’est prises de conscience et passage à l’action. Et du coup avec cette base là, là tu ressors, tu as fait les deux, tu te dis, en tout cas moi c’est l’effet que ça m’a fait, je peux pas rester inactif en fait.
E-TV – C’est ça, tu peux pas avoir toute cette connaissance, toutes ces clés en moi et rien en faire.
FVH – Et dire bah je m’en fous.
E-TV – Ouais, c’était bien merci, mais ça m’intéresse pas…
FVH – Ouais, c’était bien mais moi je vais retourner à ma vie normale tu vois. Et en fait ma vie a changé. Tu dis 2050 c’est très, ça vient très vite, c’est vrai, mais c’est pas non plus demain. Et parfois je me dis, il faut que j’en fasse un peu plus, parce que c’est pas encore assez, parce qu’en fait l’Everest il est encore loin et donc c’est pour ça que je prends tout ça.
E-TV – Et du coup la Fresque du Numérique, elle de son côté ?
FVH – Ouais la Fresque du Numérique en fait c’est un troisième atelier que j’anime qui va faire plus le zoom sur les impacts sociaux et environnementaux du numérique. Chez æpsilon, on propose la Fresque du Numérique aussi à nos clients puisque c’est notre métier et c’est un super atelier aussi.
E-TV – æpsilon c’est une entreprise du numérique, donc entreprise des services du numérique, plus précisément une ESN. A première vue, on voit pas trop le lien entre numérique et environnement. C’est quoi ta pensée à ce sujet là ?
FVH – Tu vois je te parle d’un chemin depuis 2019 et plus j’avance, et plus je me rends compte effectivement qu’il y a deux trajectoires qui semblent totalement diverger. Je reviens sur le climat, c’est un énorme problème environnemental mais c’est pas du tout celui qu’on a le plus. On a un vrai problème de la biodiversité, aujourd’hui le vivant par les activités humaines et le système de prédation que l’on a de l’économie productiviste, de la société de consommation qui extrait tout ça et consomme toutes les ressources de la planète, a un impact sur le climat mais a aussi un impact sur énormément d’autres limites planétaires, sur la biodiversité, sur acidification des océans, sur tellement de choses et le climat on en parle beaucoup parce que c’est le sujet scientifiquement le plus étudié et depuis longtemps, mais en vrai on a un vrai souci plus global, nos modes de vie c’est pas juste nos émissions de gaz à effet de serre, nos modes de vie sont complètement à questionner. C’est aujourd’hui, une drogue pour nos sociétés, c’est-à-dire qu’à partir du moment où on a trouvé cette énergie, pétrole, charbon, gaz à bas coût qui nous permettait quand même de décupler nos capacités énergétiques à produire, à nous déplacer, à manger, etc. Et bien on est devenu complètement accro et effectivement changer de mode de vie, c’est se désintoxiquer, c’est comme une cure de détox de l’énergie fossile. Et là maintenant je réponds à ta question du numérique, c’est, pour moi le numérique, je pense que c’est une drogue encore plus dure. C’est-à-dire que le numérique est en train de prendre une place dans nos vies, émet des gaz à effet de serre et en quantité par la consommation d’énergie nécessaire à la fabrication des terminaux, par la consommation de l’électricité, etc., la quantité d’eau parce que en fait ça utilise des matières premières qu’il est compliqué d’extraire du sol et qui nécessite des procédés industriels d’extraction avec beaucoup d’eau, des milliers de litres d’eau pour un smartphone, c’est de ça qu’on parle. Et attention le numérique apporte plein de progrès, je réponds à ta question, mais le numérique aujourd’hui il travestit les liens sociaux, on est continuellement sur les écrans et il y a des études qui commencent à sortir sur la conséquence que ça a sur la santé, sur le sommeil, sur la capacité d’apprentissage, sur le développement neurologique. Quand je dis c’est une drogue, ça repose sur les mêmes mécanismes neurologiques que les drogues. A côté de ça, ça amène un progrès de communication, de savoir, de droit à la parole, d’expression qui est énorme. C’est quelque chose d’hallucinant, enfin moi je te parlais du siècle dernier, tu vois la révolution.
E-TV – Oui, toi tu as pu aussi constater cet écart là et voir l’impact positif hors négatif.
FVH – L’accès à la connaissance instantanée, l’accès à pouvoir parler à quelqu’un à l’autre bout du monde… c’est juste dingue et c’est évidemment un énorme progrès pour l’humanité. Il n’est pas question de discuter ça, mais ce progrès vient avec un wagon de contre-parties négatives qui sont justes effrayantes et je n’ai même pas encore parlé de l’intelligence artificielle, de la robotique… Donc pour répondre à ta question, on est face à un enjeu mais un challenge incroyable, c’est-à-dire de dire on peut pas se passer du numérique, c’est illusoire de se dire…
E-TV – On peut plus se passer du numérique.
FVH – Voilà on ne peut plus. Là il n’y a pas de retour arrière possible. C’est une ressource à laquelle on ne renoncera jamais, mais en plus parce qu’elle nous sert, et là il y a une question éthique qui se pose pour la régulation du numérique et un numérique…
E-TV – Responsable ?
FVH – … utile. Un numérique même… ouais responsable mais même un numérique strictement utile, c’est-à-dire comment le numérique peut servir exactement nos besoins mais pas des besoins qu’on a pas. Le numérique aujourd’hui, tel qu’il est développé par les acteurs du numérique, ce n’est que ça, c’est une disponibilité, c’est un appauvrissement de la pensée pour une disponibilité mentale, pour toutes les pubs que tu vas avoir dessus. Point barre.
E-TV – Il y aurait une décroissance à opérer et en même temps il y a cette croissance du numérique qui pour moi sont deux courbes qui vont totalement à l’opposé l’une de l’autre. Pour toi ça reste compatible à un moment donné, il peut y avoir un point où les deux courbes se rejoignent et avancent dans le même sens.
FVH – En fait ça dépend de ce que l’on met derrière le mot décroissance et le mot croissance. Tu vois on a des mots, on utilise des mots qui sont chargés de sens. Quand on parle de décroissance, quasiment tout le monde entend décroissance économique, tout le monde entend décroissance du pouvoir d’achat. C’est pas la décroissance du système économique actuel, c’est un changement de système qui utilise les ressources autrement et qui vont faire croître la durabilité de la planète, la préservation des ressources, la biodiversité, le bien-être, l’épanouissement, les rapports sociaux…
E-TV – La santé…
FVH – La santé. Et donc si ça fait croître tout ça, moi j’appelle pas ça décroissance. Aucun d’entre nous, ni toi, ni moi, ni personne n’a la baguette magique pour dire ce système nouveau du jour au lendemain ça va être ça et il y a un ON/OFF et on fait un shutdown et on rallume et tout le monde est comme ça. Donc c’est au sein de ta sphère sociale, économique, écologique que tu peux agir, et si tu as, je reprends le mycélium, si tu as une capacité de propager ça, on injecte quelque chose dans le système pour qu’il réagisse différemment. C’est redéfinir un monde désirable dans lequel le numérique aura évidemment sa juste place mais ça passe aussi par une régulation. Donc si à un moment, si tu veux on est juste des millions voire des milliards à dire « il faudrait », il y a peut-être une chance que ça arrive.
E-TV – J’allais te demander, on aime bien donner des pistes pour pouvoir agir. Pour toi, quels seraient les leviers qu’on pourrait actionner en tant qu’individu pour avoir un impact le plus positif possible, c’est quoi tes conseils ?
FVH – Ben des leviers il y en a plein. Tu peux déjà prendre moins ta voiture, les gens qui disent « Non mais on peut pas se passer de la voiture, c’est un confort, c’est trop de confort ». Sauf que comme tout le monde se dit ça, on se retrouve quand même tous à l’entrée d’Antibes ou à la sortie de Nice tu vois…
E-TV – (Rires) Dans les embouteillages… comme des cons, à râler et à pester dans nos voitures.
FVH – Comme des cons, donc en fait dire « c’est ça le confort ? », quand j’ai commencé à bosser, on pouvait fumer dans les bureaux, on pouvait fumer dans les restos, on pouvait fumer dans les avions.
E-TV – Et c’était du confort.
FVH – Et c’était du confort. Et quand on l’a interdit, tout le monde a crié à quelque chose de liberticide. On peut manger moins de viande, voyager plus près, consommer moins. Je pense que chercher la cohérence et chercher un certain alignement est quand même absolument nécessaire, et effectivement pour s’extraire du système. Mais je pense que le plus grand conseil, et je voulais en arriver là, c’est de se couper du chaos du monde et de se couper des réseaux sociaux et de se couper de cette information continue et s’éduquer. Aller écouter des podcasts, lire des articles, la Fresque du Climat, t’as vu la claque que t’as pris.
E-TV – Ouais.
FVH – Ça c’est la partie émergée de l’iceberg. C’est pas que on vous le dit pas, c’est qu’on vous le dit pas très fort et que surtout vous écoutez autre chose. Il y a des gens qui m’ont dit « Mais c’est trop tard. », en fait c’est déjà trop tard, il y a déjà 70 % des espèces vertébrées qui ont disparues sur les quarante dernières années, il y a déjà +1,2°C d’élévation de la température autour du globe depuis l’ère industrielle à aujourd’hui, il y a déjà des cyclones, il y a déjà des canicules, il y a déjà des morts de ça, il y a déjà des migrations, il y a déjà tout ça.
Donc en fait cette notion de temps, c’est une justification à l’inaction. Si on est suffisamment nombreux à un moment, la bascule elle se fait. C’est comme une balançoire qui bascule, mais elle peut se faire vite. Je me souviens quand vous m’avez contacté, vous étiez hyper contents que je dise oui mais moi j’étais hyper content que vous me demandiez, mettre en visibilité, en lumière, c’est absolument essentiel, on a besoin. Donc bravo, merci, vous avez utilisé ce qui est dans votre formation, dans vos compétences, dans ce que vous savez faire, dans ce que vous aimez faire, au service de. Et j’espère que vous aurez le plus grand succès.
E-TV – On espère aussi.
FVH – En tout cas ça dit une chose, c’est que vous agissez, je peux que venir en courant parce que je trouve ça génial. C’est exactement, justement on parlait de ré-atterrir et de reconquérir un territoire, c’est exactement les liens que je veux tisser sur le territoire donc j’espère que je reviendrais.
E-TV – Merci beaucoup Franck.
FVH – Merci beaucoup.